Chronique

Les photos de Chim, immense témoin d'une Espagne à feu et à sang

le 17/08/2022 par Anne Mathieu
le 05/08/2022 par Anne Mathieu - modifié le 17/08/2022
Madrid, 14 juillet 1937, photographie de Chim parue dans Regards - source : RetroNews-BnF
Madrid, 14 juillet 1937, photographie de Chim parue dans Regards - source : RetroNews-BnF

David « Seymour » Szymin émigre de Pologne à Paris au début des années 1930, où il devient photographe sous le pseudonyme de « Chim ». À l'issue de la Guerre d'Espagne, il est déjà une légende du photojournalisme.

Chim connaît déjà l’Espagne lorsqu’il y pose le pied à l’été 1936 pour le compte de l’hebdomadaire illustré communiste Regards. Quelques mois auparavant, il y a suivi les conséquences de la victoire du Frente popular, illustrant les reportages de son confrère de plume Georges Soria.

Ses photos abondent en Une, en dernière page et en pages intérieures de Regards. L’hebdomadaire met en avant le photoreporter, comme ici pour son numéro du 1er octobre 1936 :

« Le photographe de Regards, Chim », précise l’hebdomadaire, montrant ainsi qu’il s’enorgueillit de compter ce dernier en son sein. Cela nous révèle, également, sa volonté de se l’approprier. En outre, dans la double page qui lui est offerte pour ses photos, l’hebdomadaire indique qu’il en possède l’« exclusivité » :

Tout le lexique employé par Regards concourt à poser le travail exceptionnel du photoreporter de guerre Chim. En Une, son reportage est qualifié d’« unique » ; dans la double page, la Rédaction indique qu’il « a été admis à fixer pour nos lecteurs les aspects de la vie à bord du Jaime 1er »… ce qui sous-entend que d’autres de ses confrères n’ont pas eu ce privilège.

On relèvera, au passage, l’usage du possessif « notre » (« notre envoyé spécial »), que l’on retrouve par exemple de nouveau le 18 février 1937, en Une de l’hebdomadaire : « Notre photographe Chim dans les tranchées sous Oviedo assiégée par les mineurs Asturiens. »

Là, ses photos sont « sensationnelles », et dans la double page accueillant ses photos, l’hebdomadaire les pare d’une qualité « inoubliables », sans omettre la primeur de l’information qu’elles délivrent :

« Regards a envoyé dans les Asturies, sur lesquelles jusqu'à présent aucune documentation photographique n'était parvenue, son photographe, Chim, qui est ainsi de toute la presse mondiale, le premier photographe qui ait fixé l'aspect du front d'Oviedo.

Il en a rapporté une série de photos inoubliables dont nous commençons aujourd'hui la publication. »

La notoriété d’un photoreporter se mesure aussi quand on retrouve ses clichés illustrant des articles de ses confrères reporters de plume. Mentionnons, parmi plusieurs cas de figure, la présence de ceux-ci lors de reportages du journaliste Albert Soulillou dans Regards, par exemple le 12 mai 1938 :

Chim travaille aussi pour le quotidien communiste Ce soir. Là aussi, ses clichés peuvent accompagner ceux de confrères de plume, telle l’immensément célèbre Andrée Viollis pendant plusieurs semaines de la fin 1938 au début 1939. Les deux journalistes se connaissent d’ailleurs bien, ayant fait équipe antérieurement pour un reportage conjoint, texte de Viollis, photos de Chim, en Europe centrale.

Le 12 janvier 1939, la dernière page de Ce soir publie une série de photos, dont la présentation de la rédaction adjoignant étroitement leurs deux noms, rend ainsi indissociable leur production respective :

« Nos envoyés spéciaux Andrée Viollis et Chim viennent de visiter cette île si importante pour la France, on le sait. Voici quelques images de ce magnifique voyage. »

Parfois, le photoreporter peut partager le crédit de ses photos avec un confrère ; en l’occurrence dans l’exemple que nous prenons, une consœur, puisqu’il s’agit de Gerda Taro. C’est le cas à deux reprises dans le numéro spécial du 14 juillet 1937 de Regards, « Un an de guerre civile en Espagne ». « Photos Taro-Chim », porte la page 11 de ce numéro ; « Photos Taro et Chim » pour la page 23 :

Si Chim donna à voir tous les aspects de la guerre d’Espagne, il est manifeste qu’il excellait dans les portraits d’enfants, individuels et de groupe.

Contemplons cet autre portrait d’enfant, en Une de Ce soir du 5 novembre 1938, illustrant les premières lignes d’un reportage d’Andrée Viollis, et dont on sait grâce au crédit porté en dernière page du quotidien, qu’il émane de Chim :

On pourrait multiplier les exemples, tant ces portraits d’enfants abondent chez le photoreporter pendant cette guerre d’Espagne. L’UNESCO comprit d’ailleurs tout le pouvoir de son talent et de photographe et de journaliste quand elle lui demanda, en 1948, de photographier les conséquences de la Seconde Guerre mondiale sur les enfants dans plusieurs pays d’Europe (Tchécoslovaquie, Pologne, Allemagne, Grèce, Italie).

L’année d’avant, il avait participé à la fondation de la mythique Agence Magnum, avec ses vieux camarades Robert Capa et Henri Cartier-Bresson, Maria Eisner, George Rodger William et Rita Vandivert, sous le nom de David Seymour. Certains d’entre eux avaient été forgés, comme lui, par la Guerre d’Espagne.

Pour en savoir plus :

Clara Bouveresse, Histoire de l’agence Magnum. L’art d’être photographe, Flammarion, 2017.