Extrait du journal
C’est une bien attrayante et bien curieuse personnalité que celle de no tre ami Saint-Auban. Artiste jusqu’au bout des ongles, passionné de Wagner, il est, tour à tour, devant un tribunal, le plus re doutable des dialecticiens et le plus lyrique des orateurs. Il a prononcé quelques-unes des harangues les plus remarquables, les plus démonstratives et les plus fortes de ce temps, des ha rangues qui, comme les plaidoyers dans l’affaire Raynal, dans l’affaire Wilson, dans le procès des Trente, dans le procès qui nous fut intenté pour outrage à la Magistrature, sont d’admirables études sociales. C’est, à la fois, un vaillant et un tendre, un énergique et un féministe, un conseiller prudent et un enthou siaste. C’est un ami véritable dans une époque d’universelle trahison où, plus que jamais, le sage pourrait répéter la parole mélancolique : « Mes amis, J n’y a plus d’amis I » Comme ami, Saint Auban me prie de lui faire un plaisir, celui d’écrire simplement un article de critique im partiale et sincère sur le nouveau livre qu’il vient de publier : La Voix des choses. « Je sais, me dit-il, l’affection fra ternelle que vous avez pour moi, les sentiments que tout le monde éprouve ici. J’ai conscience d’avoir rendu des services à votre cause, mais il ne s’a git pas de cela. Je ne vous demande pas de dire tout le bien que vous pou vez penser de moi, mais uniquement de prendre mon livre comme vous prendriez le livre d’un inconnu et de me donner nettement votre opinion. » J’ai passé ma soirée d’hier à lire ce livre ; me voilà depuis une demi-heure devant mon papier, et moi, qui ai par fois la plume rapide, je trouve malai sément des mots pour exprimer ma pensée. Je l’avoue très franchement : c’est trop beau pour moi. 11 n’est pas une page, dans ce livre, où l’on ne rencontre de splendides images, (.les visions superbes, des pensées très profondes ou très hautes, mais mon esprit cherche en vain un endroit où se prendre. Je promène un regard un peu errant sur ces nuages de toutes couleurs, je flotte à travers cet azur et je respire diflicilcment sur ces cimes qui se perdent dans l’infini. C’est une incomparable symphonie, mais de ces symphonies qui font pâ mer d’aise ceux qui sont organisés pour comprendre les symphonies et qui donnent à d’autres la honte de n’ètre pas enthousiasmés par des choses qu’ils sentent tout de même être très belles. Ce n’est pas, remarquez-le, que Saint-Auban reste systématiquement dans le vague ; il prend, au contraire, tous les faits contemporains, tous les spectacles, tous les scandales de la vie présente, et il les fait commenter par la Voix des choses, par la Forêt, par la Montagne, par la Cathédrale. Son livre est un peu un Grand Pan qui aurait été baptisé. Laissons l’écrivain s’expliquer luimême, il le fera beaucoup mieux que nous. J’ai toujours adoré, écrit-il, la conver sation des choses. Je crois entendre leur langage, et leurs voix daus mon âme éveillent mille échos. Je leur trouve des envolées, des précisions, des éloquences que les hommes n’ont pas. Nul n’a phi losophé, pleuré, souri comme elles. Il faudrait un poème aussi long que les siècles pour traduire leurs doux ou ter ribles symboles; et moi, chétif, je rem plirais vos bibliothèques avec ce qu’elles m’out coûté, murmuré, modulé à tout propos, sur tous les tous, daus tous les genres, brutales ou délicates, moqueuses ou rêveuses, soupirantes ou rougissantes, illuminées ou assombries.... Je dois peu à la lecture, encore moins au commerce mondain. Le monsieur le plus franc, le livre le plus sincère gardent un petit goût perfide qui moisit la vérité. Aussitôt lue, elle s’est plantée à i-evi
À propos
Fondée par le polémiste Édouard Drumont en 1892, La Libre Parole était un journal politique avançant des prétentions « socialistes », quoique son anticapitalisme populiste marqué se nourrissait essentiellement de liens présumés entre le capital et la communauté juive. Le journal répandait un antisémitisme virulent à travers de brutales diatribes et des unes sensationnalistes dénonçant quotidiennement des « conspirations ».
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