Extrait du journal

LE SIECLE DES OUVRIERS 11 est certain que la manifestation du 1" mai 1891 a été beaucoup plus générale, beaucoup plus dense, beaucoup plus impor tante que celle de l'année dernière. En 1890 ce qui a dominé c'est l'ensemble des pré cautions prises, le formidable attirail mili taire qui a quelque peu surpris et qui était certainement en disproportion avec le dé ploiement des forces populaires. Avant-hier, personne ne s'est étonné devoir Paris, la France, toute l'Europe en état de siège. On sentait que la manifestation avait pris corps, qu'elle pouvait être sérieuse, et, sans s'exagérer la gravité des événements, on devinait que, celte fois, il s'agissait d'une véritable et sincère agitation ouvrière. C'est que, il ne faut pas se le dissimuler, le parti socialiste peut être fractionné en mul tiples séries hostiles et rivales. Ces divisions mêmes peuvent augmenter à l'infini: ce sont les rameaux d'un même arbre'; mais au fonds ces groupes sont tous d'accord sur le but à atteindre, et ne sont pas loins de s'en tendre sur les moyens à employer. Les sectes variées qui vivent et agissent sous les vocables de broussistes, marxistes, allemanistes et qui, en somme, sont toutes collectivistes, semblent vouloir sortir du do maine de la théorie et du rêve pour se mou voir sur le terrain pratique de réformes possibles. L'idée des Trois Huit est essentiellement simpliste. Elle est à la portée de toutes les intelligences. Avec elle plus.de programme, compliqué, plus de thèses obscures, plus d'abstractions quintessenciées. C'est une formule d'une concision et d'une précision toute latine, qui contient à la fois les reven dications du socialisme et résume les aspi rations du prolétariat. Elle a fait rapide ment de grands progrès dans les masses. On le voit bien au chemin parcouru en quelques mois. Avec elle les indifférents se réveillent ; pour elle les apathiques s'émeuvent ; devant elle les modérés s'inclinent. Les socialistes viennent de trouver, pres que inconsciemment, et sans que cette dé couverte soit l'œuvre d'un homme, une vaste plateforme destinée à rallier les bataillons épars des travailleurs et des misérables du monde entier. . • C'est un fait symptomatique.! Le second point remarquable de cette journée pacifique, malgré quelques taches de sang qui la salissent, est le caractère in ternational delà manifestation. , En Allemagne, en Belgique, en Autriche, en Italie, en Espagne, et jusqu'en Russie le mot d'ordre à été obéi, la consigne observée. Ce n'est pas que les ouvriers aient chômé tous et partout. Mais là, où la veille on ne Soupçonnait aucun ferment révolutionnaire, ées incidents se sont produits qui dénotent an réveil réel. Il estparfaitementinutile de chercher àattéauer les faits, à nier l'évidence. On peut cri tiquer l'idée, blâmer, juger et condamner les agitateurs, voire même sabrer et fusiller des badauds inoffensifs : on ne peut contester l'importance particulière de cette journée caractéristique. Maintenant que vont faire les gouverne ments? Déjà on annonce que le cabinet va pro céder sur la journée de huit heures à une enquête administrative qui sera, par excep tion sans doute, menée très rapidement et dont « les résultats, dit-on, seront publiés pour fournir les indications nécessaires àtous les intéressés ». Soit. Mais on sait ce que valent les en quêtes administratives, les commissions parlementaires : on constate plus ou moins exactement, plus ou moins sincèrement, mais on ne conclut pas et on aboutit encore moins. Et pourtant il faut se résoudre : agir ou périr, tel est le dilemme. On retardera la solution, on reculera l'explosion, mais fina lement on sautera tout de même si on n'ouvre à temps quelques soupapes de Sûreté. D'années §2k années l.é mouvement...