Extrait du journal

inculpé. Aujourd’hui, un accusé ne vient plus de vant la cour avec la chance d'être déclaré innocent ou coupable : il s’agit seulement pour lui de savoir s’il sera frappé avec le glaive criminel ou tondu avec les ciseaux civils. « Monsieur, lui dit la vindicte publique, vous me devez une satisfaction ; venez en prison. —Voici le verdict qui me déclare innocent. — Fort bien, je n’ai plus rien à dire. — Halte là, crie à son tour un autre réclamant, j'ai à requérir aussi : payez-moi des dommages-intérêts. — Qui êtes-vous? — Je suis la partie civile, l’intérêt particulier. —Allez au diable. — Je vais chez l’huissier, ce qui revient exactement au même. » Ainsi, échappez-vous au Charybde de l'intention, vous tombez dans le Scylla du fait. S’il ne s’agissait pas d’une atteinte portée à la for tune d’un citoyen, et qui plus est à une de nos li bertés les plus précieuses, nous combattrions avec le ridicule une pareille jurisprudence. Mais cette usur pation, commise par trois magistrats, du privilège du jury est chose trop grave: ce n’est pas avec le seul fouet de l’épigramme qu’elle doit être frappée, c’est avec la massue dont la cour suprême se sert pour casser les arrêts contraires à l’esprit aussi bien qu'à la lettre de la loi. On parlait hier à la chambre, devant M. Dupin, de cet incroyable arrêt : le procureur général près la cour de cassation évitait de se prononcer sur une dé cision dont son parquet aura bien certainement à s’occuper. Aussi n’a-t-il jeté qu’une seule phrase dans la conversation. « Cela prouve, a-t-il dit, que le préfet de Saint-Lô peut se passer du jury, puis qu’il a la magistrature dans la Manche. »...