Extrait du journal

Nous autres, nous avons le suffrage universel depuis 1848. Depuis 1848 il ne s'est, pour ainsi dire, pas passé une année où le peuple français n'ait élu ses conseils municipaux, ses conseils d'arrondissement, ses conseils généraux, son parlement, so'ii chef d'état ou sa constitution. Il s'est ainsi fait à l'idée que tout vient de lui et ne Peut venir que de lui, et le pouvoir n'a plus d'au tre assise ni d'autre direction que l'incertaine et mouvante opinion publique, bien que nous ne soyons pas encore dans la république pure et que la forme monarchique de cette république-ci nous donne l'illusion que Napoléon 111, LouisPhilippe ou Charles X s'appelle seulement Lou bet pendant sept ans, et qu'il n'y a pas autre chose de changé. Dans les autres pays constitutionnels ou parle mentaires, la Suisse exceptée, il y a quelque chose d'un peu plus réel, le pouvoir royal, que le parlement a réduit à l'institution royale, laquelle a tout ce qui peut jeter de la poudre aux yeux avec ses gloires dynastiques, ses palais et ses châteaux, son opulente liste civile, sa cour et ses chamarres. Je n'ai pas visité sa garde-robe, mais l'on dit que l'empereur Guillaume a quatre vingts uniformes différents. Comment voulez vous qu'un empereur qui parait, dans la même journée, en chef de la marine, de l'infanterie, du génie, de l'artillerie, de la grosse cavalerie et de la cavalerie légère, et de je ne sais quoi en core, n'ait pas l'air de tout pouvoir comme de tout savoir ? Cependant, lui et les autres souve rains ne sont guère mieux armés que nos rois avant Bouvines et que M. Loubet lui-même, et ils n'ont pas le dérivatif de l'émigration profession nelle et fructueuse, qui préserve la couronne bri tannique des entreprises révolutionnaires. Leur arme c'est la dissolution du parlement ou plutôt de la chambre basse du parlement. Le roi des Belges, lui, ale droit de dissoudre les deux chambres du parlement; mais, comme disent les bonnes gens, il n'en est pas plus fier. Cette arme de la dissolution a éclaté entre les mains du ma réchal de Mac-Mahon et elle a frappé au cœur tous ses successeurs à la présidence de la répu blique. L'explosion n'aurait sans doute pas de si funestes effets pour un souverain et sa dynastie, qui ne sont pas les élus du parlement ; mais sup posez, même en Allemagne, un conflit capital entre la couronne et le parlement, et le souverain dissolvant une, deux et trois fois le parlement, autant de fois réélu par le suffrage universel, pensez-vous que le pot de terre serait le parle ment, tandis que le souverain serait le pot de fer?...