Extrait du journal

Nous avons revu l’épave de la Liberté. C’était dans la nuit qui précédait les funérailles. La ville de Toulon s’emplis sait d’une foule qui devait tripler la po pulation coutumière, le lendemain. Les hôtels étaient bondés et la belle étoile s’offrait au voyageur attardé. Le centre de la cité maritime était tout animé et brillant de lumières. Comme la nuit était sereine et le port endormi, une barque silencieuse nous conduisit dans la rade. Les maisons clignotaient de leurs mille yeux et les clartés disséminées sur la rive étaient atténuées par le croissant lunaire qui donnait à l’onde une couleur d’acier. Peu à peu, tandis que les rames bat taient l’eau, voici qu’apparaissait dans la brume bleuâtre la masse noire de l’épave: Elle se découpait durement avec un aspect d’immobilité. C’était d’une tris tesse infinie et l’on se remémorait l’heure terrible qui semblait d’hier et qui avait déjà huit jours d’éternité. Huit jours que. par un temps pareil, parmi ses compa gnons de gloire de la revue navale, le beau navire avait sombré, sans raison bien connue, comme tant de catastrophes arrivent pour l’humiliation affreuse de notre savoir I . Le flot clapotait doucement ; la paix du cimetière s’étendait sur l’espace et nous nous disions que ceux qui restaient encore emprisonnés dans la carcasse de fer disloquée n’auraient point, le lende main, les honneurs funèbres dus à leur martyre....