Extrait du journal

Voyez-vous, quand on est obligé de se fourrer dans les griffes du Maquart : un vieux scélérat pour tout dire, on est fichu, Antoine, fichu, vous entendez, radicalement fichu ! Il s’entend à vous grossir les intérêts, celui-là ! 11 vous fabrique des comptes où le diable ne se reconnaîtrait pas ! En quelques années, tout mon avoir passa entre ses mains ; c’est tel que je vous, le dis, Antoine, vous me croi rez si vous voulez » — Vraiment ? —- Eh ! oui dà ! Vous avez bien entendu par ler d’un animal marin qui suce le sang des malheureux qu’il peut atteindre ; un sale ani mal dont j’ai vu la « représentation » sur une image, avec de longs brar, une espèce de grosse araignée... Je ne sais plus comment ça s’appelle ; vous savez bien ce que je veux dire : vous passez pour un savant... — Une pieuvre ?... — Une pieuvre, c’est ça !... Eh bien ! Ma quart, et souvenez-vous de ce que je vous dis pour en faire votre profit, Antoine, Maquart, votre convive de ce soir, c’est une pieuvre ! Méfiez-vous de lui ! — Pourquoi me dites-vous ça ? — Motus ! Gardez-vous ! A votre santé ! La deuxième bouteille était déjà vide, car cette fois, Antoine avait aitlé l’ivrogne à la boire : il voulait se montrer assez d’audace, de force et aller jusqu’au bout de la conversa tion. Il fit venir une troisième bouteille à la grande joie de l’ivrogne. — Vous voulez donc que Jean-Baptiste roule sous la table, m’sieu Antoine ? dit le cabare tier soupçonneux. — Sous la table, moi ! dit l’ivrogne furieux. Canaille d'empoisonneur ! Sers-nous et tiens ta langue, mille tonnerres ! — Bah ! fit Antoine en souriant. Ce n’est pas tous les jours fête. Le cabaretier, qui mettait du vin en bou teilles, dans sa cave, s’éloigna, fort dépité...