Extrait du journal

f' « Vous on parlez bien à votre aise, me dit l'imprésario. Mais vous ne savez pas que c’est, un morceau très difficile que nous avons à exécuter. Outre cela, il n’est pas su. On n'a pas suffisamment répété. Il faudra beaucoup de mesures pour rien. Ah ! vous n'êtes pas au bout. Voyez le temps qu'on met à réunir les musi ciens. Us ne veulent pas venir. Chacun se fait tirer l'oreille. Il a. fallu leur pro mettre un pilaff extraordinaire pour les décider. Tous les cuisiniers de Londres sont sur les dents. Ils ont entendu parler du déjeuner magnifique de Tcliataldja, et ils ne veulent pas avoir du dessous. J’ai peur que toute cette musique se liasse en études culinaires. Heureuse ment, il y aura à boire et c’est là où je rattraperai mes artistes. « C’est égal, il est bien difficile de les faire jouer avec ensemble. Je crains que chacun ne tienne à son air et ne veuille le fourrer partout. Voyez le beau cha rivari, si, pendant que le trombone jouait : Mourir, pour la patrie, la flûte entonnait. Le bon Roi Dagobert 1 II fau dra beaucoup de répétitions pour les mettre au point, et les répétitions vont à elles seules user tant de mois, qu'il fau dra une forte dose de patience aux belli gérants pour continuer à s’entre-massacrer paisiblement pendant ce temps-là. Vous me direz qu'ils en ont pris l'habi tude. Il est bien vrai qu’on s’habitue à Août. « Cependant ce concert aura cela de particulier, qu’on y jouera de la musi que savante. Vous savez, cette musique qui écorche les oreilles, et où ce qu'il y a de plus beau est ce. qu'il y a de plus faux. Si les accords sont justes, ça ne compte pas, il faut recommencer. Du Wagner de derrière les fagots. Personne n’y com prendra rien. Ce sera très beau. » Mais j’objectai qu’il faudra pourtant aboutir à quelque chose et que quelque agrément qu’éprouvent les hommes à s’entre-tuer, il faut une fin à tout, même à l’extermination. . L’impresario haussa les épaules. — Une fin à tout 1 Sachez, monsieur, me dit-il, que les concerts de la nouvelle école n'ont point de fin. Quand on en a assez on s’en va. Et voilà comment cela finit. C’est ce qui arrivera chez nous. Quand on aura assez fatigué les cuivres et les bois, on ira se promener.; — Mais nos gens ? — Quelles gens ? !— Ceux qui se battent ? r— Eh bien ! ils continueront, à moins qu’il ne leur plaise de faire autrement, seulement ils auront eu de la musique. — Et les musiciens, du pilaf f. * — C’est pourquoi tout le monde sera content, sauf peut-être le roi d’Angle terre, qui trouve que ça va lui coûter cher d’héberger tout, ce monde-là. Mais, comme de coutume, ce sont les peuples qui paieront. C’est que les musiciens boi vent sec. — Et les cuisiniers aussi. — C’est égal, c’est une mauvaise farce qu’on a faite à Londres en désignant cette ville pour la réunion du concert. Je m’étonne qu’on n’ait pas pris Paris. Pa ris est bon payeur ; il ne vérifie jamais, une addition, et ne compte jamais les petits verres. — Oui, mais Paris est curieux ; il aime bien savoir ce qui se passe. Il voudrait entendre. Tandis que Londres restera calme, calme au point que les instrumen tistes s’escrimeront encore, alors qu’on les aura complètement oubliés. Et il y aura dix-sept ans que les événements qui auront donné lieu à ce concert seront effacés, que le charivari continuera et que, eu entendant un solo de violon, un...