Extrait du journal

embrasement supérieur à tous ceux des apothéoses de féerie, mais l’abomi nable espoir, assurément inavoué, de voir des plaies vives, des chairs carbo nisées, des agonies hurlantes. Oh ! qu’ils ne protestent point, car elle est inacceptable l’excuse imaginée par l’hypocrisie de leur conscience débile. Sympathie pour les victimes ? Le meil leur témoignage à en donner est de respecter leurs souffrances ou leurs cadavres , ainsi que le désespoir de ceux qui survivent... Désir de se rendre utiles ? Allons donc... Dans une ville où les secours contre le feu sont organisés militairement, tout ce qui n’est pas pompier ne fait qu’encombrer de sa personne et énerver de ses conseils. Non , qu’ils ne cherchent point à se justifier. J’aime mieux croire que, leur affreuse envie satisfaite , ils en ont. sans l’avouer, rougi jusqu’au fond d’eux-mêmes comme d’une mauvaise action. On en pourrait dire indéfiniment sur ce scandale quotidien de gens se pres sant aux devantures des pharmacies où on a transporté un passant écrasé par un omnibus, ou bien s’attroupant pour regarder retirer de l’eau un noyé. Encore dans tout cela, et dans bien d’autres choses, n’y a-t-il qu’une hon teuse curiosité, ne faisant de mal qu’à ceux qui s’y abandonnent. Mais, trop souvent, cet instinct prend un carac tère offensif. Parlerai-je des stupides, grossières et brutales brimades en usage dans des écoles très supérieures, hélas ! Et dans les milieux populaires — je parle des plus honnêtes — depuis la bonne farce de retirer sa chaise de derrière une personne qui va s’asseoir, ou de faire peur aux filles en imitant les revenants, jusqu’aux cruelles plai santeries, aux quolibets féroces dont on poursuit toutes les infortunes et toutes les disgrâces, êtres contrefaits et dif formes, enfants bâtards, filles séduites, maris trompés, qu’est cela, sinon de la malfaisance ? Même les prétendues joyeusetés de carnaval dérivent de la même source impure, car, enfin, ce n’est pas pour vous être agréable qu’on vous lance à la figure, par surprise, une poignée de ces odieux et idiots confetti. Evidemment, il faut descendre beau coup de degrés pour arriver aux brutes monstrueuses qui martyrisent des en fants. Mais ce n’est que le haut et le bas d’une pente le long de laquelle la pauvre humanité se hisse péniblement, à force de volonté de vaincre la bas sesse de sa nature. L’instinct destructeur est une autre forme de férocité. Nombreux, les imbé ciles qui, sans motif, par rigolade, la cèrent et souillent les coussins des vagons et des voitures. Dès que des col légiens sont en révolte ils cassent les carreaux.A l’Ecole polytechnique, l’élite scientifique de la jeunesse manifeste son mécontentement en brisant la vais selle. Pour une autre élite, celle de l’art, c’est signe d’allégresse, jeter par la fenêtre assiettes, verres et carafes étant le couronnement traditionnel du dîner que s’offrent les prix de Rome pour fêter leur succès. L’été dernier, en Angleterre, deux calicots en balade à la campagne, ont imaginé de saccager une pièce de blé. Leur offre d’indemni ser le propriétaire n'ayant pas empêché celui-ci de porter plainte, ils furent condamnés à un mois de prison pour cette raison que l’évidente intention de mal faire devait être punie indépen damment de la réparation du dom mage causé. C’était juger fort sage ment. Car si les êtres simplement mal faisants sont moins immédiatement nocifs que les malfaiteurs, le germe dissolvant qu’ils portent en eux doit cependant être broyé avant qu’il puisse engendrer des crimes. Les instincts ignobles, plus ou moins complètement subjugués, chez bien peu anéantis, lorsqu’ils trouvent un terrain favorable dans des âmes aigries quelquefois par un malheur immérité, géné ralement par le sentiment de leur mé...