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Le Petit Marseillais, 24 avril 1912

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Le Petit Marseillais
24 avril 1912


Extrait du journal

C'était au « petit vernissage » du Salon de la Nationale. Et comme on ne s’aven ture pas dans ces machines-là pour voir des tableaux, mon ami le peintre italien, mon autre ami le sculpteur anglais, et moi, nous nous arrêtâmes tout de suite au café pour prendre des bocks... Quand on a travaillé toute l’année, n’est-ce pas ! ... Mais il est peut-être indispensable que je vous apprenne ce que c'est que le « petit vernissage ». C’est une des plus belles conquêtes de la civilisation. Au commencement, comme dit la Bible, il n’y avait qu’un salon et, par conséquent, qu’un vernissage. Après ça, il y a eu deux salons, et par conséquent deux vernissages, généralement un samedi. Après ça, comme il y avait trop de monde, on a inventé « le vernissage du président de la République », qui a lieu la veille. Alors ça a fait trois vernis sages. Et après ça, on a inventé le petit vernissage » pour les artistes et les cri tiques, qui a lieu la veille du vernissage du président de la République. Alors ça fait quatre vernissages. Il est de bon ton pour les dames de ne porter la même toi lette à aucun. S’il y a des couturiers qui se ruinent, c’est, je présume, qu’ils mè nent une vie de bâtons de chaises. Je tenais à vous expliquer cette situa tion parce qu’elle est assez compliquée : on a le droit de se faire aider pour com prendre. Mais, du reste, elle n’a rien absolument à voir avec ce que je veux vous dire. Nous étions trois, je vous le répète : le peintre italien, le sculpteur anglais et moi, qui prenions des bocks dans un coin pour nous consoler de la décadence des beâux-arts. Et quand nous eûmes fini de taper sur les confrères, survint le moment inévitable et dange reux, le moment où il ne nous restait plus qu’à nous dire nos propres vérités. Pour éviter cet écueil, je préférai parler à cet Italien de l’Italie et de la Tripolitaine : cela était plus général et nous sauvait des personnalités. Il fut d’ailleurs parfait, notre Italien. — Je sais, dit-il, que l’enthousiasme qui a accueilli dans ma patrie l’expédi tion de Tripolitaine n’a d’égal que la froi deur que la nouvelle de celle-ci a ren contrée dans tout le reste de l’Europe. Je ne vous parlerai donc pas de la justice ou de l’injustice de notre cause. Nous ne nous convaincrions ni les uns ni les au tres. Laissez-moi vous dire seulement que cette conquête, nous étions forcés de la faire, car c’est une loi qu’un Etat qui s’est constitué depuis peu de temps a besoin de s’affirmer par une guerre victo rieuse. L’Allemagne n’a pas fait autre ment ; le Japon non plus. Il faut un peu de gloire pour cimenter le bâtiment neuf. Nous sommes allés chercher cette gloire. Elle nous avait échappé en Abys sinie. Nous espérons la trouver dans l’Afrique du Nord. A ce moment, le sculpteur anglais, qui fumait tranquillement sa pipe en racine de bruyère, dit avec simplicité : — Vous êtes allés chercher la gloire ?.. Well, je crains bien que ce ne soit comme le traüed herrino qu’on chasse dans l’Inde. Je ne savais pas ce que c’est que le trailed herrinq. Je demandai des expli cations. — Oh ! fit-il, c’est une chose qui était facile à raconter. Nous autres Anglais, vous savez, nous aimons beaucoup la chasse au renard ; c’est un sport natio nal, c’est un sport glorieux. Mais, dans l’Inde, il n’y a pas de renards. Ça ne fait rien ; nous avons des chevaux pour chasser le renard, nous vivons des chiens pour courir le renard... Et, de temps en temps, on lâche ces chiens sur une piste, et ils partent tout de suite. — Quelle piste ? demandai-je, étonné, puisqu’il n’y a pas de renards, voyons ! — Ça ne fait rien, continua l’Anglais placidement. Je vous dis que les chiens prennent la trace sans hésiter, et ils la suivent, par monts et par vaux, à travers tous les crochets, en donnant de la svoix d'une façon satisfaisante. Et nous autres, nous suivons à cheval, sautant les haies et les fossés, trotte qui trotte, galope qui galope, tombe qui tombe, arrive qui arrive. C’est magnifique ! Et les chiens vont toujours, le nez par terre, flairant ce renard, le suivant partout, déjouant toutes ses feintes. Enfin c’est comme en Angleterre, et nos cœurs s’emplissent de joie, nos vieux cœurs d’Anglo-Saxons. — Mais, fichtre, interrompis-je avec impatience, puisque vous m’avez dit qu’il n’y a pas de renards ! — Attendez ! Vous autres Français, vous voulez toujours sauter à la conclu sion : c’est insupportable... A la fin, quand arrive l’heure du htncheon, on commence à apercevoir quelque chose ; on est à vue. — A vue de quoi ? • A vue d’un cavalier qui se démène...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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