Extrait du journal
Sous l’Empereur, je pars à travers l’Eu rope, assistant à cent batailles, laissant après moi une longue traînée de victoires et faisant le tour du monde avec Napo léon. Partout, j’entre en vainqueur, je passe, roulant avec fracas, sous les arcs de triom phe; on me jette des couronnes et les peuples vaincus s’inclinent quand je passe. Ma voix fait trembler les capitales et l’Eu rope tient tout entière dans ma gueùle de bronze! Les fleuves et les royaumes nous sépa raient, ma sœurl mais après chaque ba taille, je songeais à toi, et il me semblait entendre ta voix joyeuse et fière célébrer mes victoires. La poudre est mon encens, un roc est mon clocher; j’ai pour cantique des cris de guerre et pour fêtes des batailles; mais je suis vaincu un jour, vaincu après cent victoires. On me traîne captif dans une ville élrangère, une foule insolente se presse sur mon passage et je roule tristement vers ma prison, songeant à mes triomphes évanouis, à ma défaite, plus glorieuse qu’une victoire, songeant à toi, ma cloche aimée, qui sonnes toujours heureuse et libre dans notre beau clocher. Ma prison est un musée, ma place entre deux drapeaux déchirés par les balles et comme moi captifs. La nuit, quand le vent gémit aux fenê tres de ma prison, je pense à nos char mantes fêtes. T’en souviens-tu, ma sœur ? tandis que nous sonnions à toute volée, les jeunes filles, en robe blanche, défilaient "lentement au milieu des croix et des ban nières, et la brise nous apportait le par fum des roses qu’effeuillaient les enfants. Alors j’oublie la guerre, mes conquêtes et mes revers, j’oublie la gloire, j’oublie la captivité! Je ne songe qu’à toi; je te vois toujours bondissante,joyeuse et libre dans notre beau clocher d Alsace, et je crois entendre ta voix, ta douce voix qui m’appelle. Ah! dis-moi, as-tu une compagne, ou bien ma place est-elle vide encore ? Her mann a-t-il épousé Marguerite ? et Marthe Aubier, que je mariai la veille de mon départ, est-ellè mère de beaux enfants ? et le vieux curé qui versa tant de larmes en me voyant partir, dis-moi, vit-il encore? Mais que dis-je ? les générations passent et,je parie comme si je l’ignorais, moi qui ai vécu à tes côtés plus de cent ans ! Où sont-ils, aujourd'hui, ceux que je quittai enfants? él qui, si ce n'est toi, ma sœur, reconnaîtrais-je aujourd'hui au vil lage ? Je n'ai pas vu naître ces morts que tu pleurais hier et, pauvre exilé, je ne verrai jamais les nouveau-nés que ta voix saluera demain. Je suis captif à Berlin et l’Empereur est mort sur un rocher ; il est mort de tristesse au milieu des mers. Les ans sont bien longs en exil! depuisquarante ans je languis et me tais au fond de ma prison, entre mes deux drapeaux. Leurs couleurs sont flétries et leurs grands plis attristés de poussière, flasques, lamentables, suppliants, ont l’air de rides profondes creusées par la déiaite et le deuil. Quant à moi, la rouille m’envahit comme une lèpre et- de grandes taches me re couvrent. me rongent; on dirait je ne sais quel mastic hideux des larmes que j’ai fait répandre et du sang que j’ai fait couler. Je me tais depuis le jour où je fus pris à Waterloo... cependant un bruit sourd et lointain, formidable, a retenti jusqu'ici. C'est le bruit que je faisais à Wagram et à Marengo, à Austerlitz, à Iéna! Je le re connais bien! c’est le canon de la France qui parle ; il gronde sous les murs de Sé bastopol; il gronde à Magenta et à Solférino ; il gronde du golfe du Mexique aux rives du fleuve Jaune....
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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