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Le Petit Marseillais, 29 avril 1893

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Le Petit Marseillais
29 avril 1893


Extrait du journal

Tout le Voyage D’ITALIE On a naît les cuivres et épousseté les meubles ; on a sorti de l'armoire des choses drôles, de beaux habits à dorures, des bas de soie, les aristocratiques per ruques. tout un rococo un peu moisi mais qui donne bon air à la maison. Toujours frivole, la vieille Italie a fait un gros brin de toilette pour ses Invités. Et tellement elle a paru jeune, sous ses postiches, si langoureusement elle a fait risette, que l’auguste visiteur — un empereur, s’il vous plaît — tout bonnement lui a dit qu’il était fou d’elle, croyant, ma foi, lui encore, être le premier. Et Von s’est amusé ferme, paraît-il, làbas: les grands à faire ripaille, les petits à regarder manger. On a bienfait les cho ses, somptueusement même. La vieille Rome moderne est redevenue la Rome des triomphes. Pendant des jours entiers, des nuits, elle a été en représentation, pleine, comme un cirque, de musique et de bravos. Sur cette scène, des légions de soldats, des canons en troupeaux, des orchestres en cohortes, toutes les gaîtés du soleil, tous les yeux noirs, toutes les épaules nues, ont défilé, dans cette fête, interminablement. Voilà six jours que le soleil ne s’est pas couché pour la ville. Les oreilles sont sourdes, à cette heure du tonnerre des canous, des vivats hur leurs, du choc des coupes. Devant le peu ple , les rois se sont embrassés et les hauts visiteurs venus d’Allemagne, ga gnés par toute cette ivresse, ont jeté, en dragées, à la foule, des dons joyeux. Tout cela, c’est beaucoup de choses, mais ce n’est rien. Au pouvoir, on se blase vite de ces sortes de manifestations, de ces gaîtés de commande. Tout cela ce n’est pas ce que l’empereur d’Allemagne cherchait en Italie. Etre venu sur le Corso, ce n’était pas, pour lui, être venu à Rome. Si la fête s’en était tenu à cela, elle n’eût pas été complète. Il lui eût manqué quel que chose, un rien, mais ce rien, c’était tout. Tant est réel, tant est puissant, l’é ternel ascendant d’une idée sur des cho ses : à l’empereur promené de fête en fête, les yeux éblouis par tant de soleil, tant d’illuminations, tant d’éclairs d’ar mes ; les oreilles assourdies par tant de salves et de bravos, il fallait encore, il fallait surtout un petit rien, quelque chose comme, de no un tournoi jadis, le simple petit gant jeté au chevalier par une main douce, plus glorieux que tous les bravos. Il lui fallait cela pour lui, pour cette ter rible galerie de son peuple et des peuples, qui, spectateurs lointains, seraient restés assez indifférents devant cette mise en scène, à laquelle manquait l’intérêt d’une vraie pièce. Or, il y a eu une pièce et du plus puissant intérêt. Elle s’est jouée, non point au grand soleil, au milieu de la cohue bruyante, mais dans un endroit à l’écart, dans un petit salon tranquille jusqu’où n arrivaient pas. pour couvrir les voix, les brûlis de la fête. Dans ce salon, ce n’est pas un prince, en grand costume, constellé de décorations qu’on trouve. C’est un vieil lard tout ft-êle, tout blanc, vêtu de laine blanche, la poitrine décorée d’une seule croix. C’est un homme humble qui parle sans fierté, dont le geste modeste semble pouvoir seulement bénir. Et, pourtant, l’empereur est venu pour lui rendre hom mage. Il ne lui a pas tout simplement annoncé sa visite : il lui a fait demander, très humblement, à cet humble vieillard, par son ambassadeur, la faveur d’être reçu de lui. Et, si ce descendant du roi de Prusse, celui de la galerie des Glaces, est venu faire sa visite, c’est que ce simple vieillard l’a bien voulu. Puis, quand il s’est trouvé là, l’empereur, dans son fier et massif costume de guerre, subitement, ses larges épaules, son toi*se robuste se sont courbés très bas, très bas, devant le fragile sourire du vieillard frêle. Et, quand a pris fin cette entrevue d’une heure, qui avait plus intéressé le monde que six jours de têtes, dans tous les rangs, dans toute la ville, dans toute l’Italie, dans toute l’Europe, un frisson d’indicible...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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