Anthelme Collet, maître escroc
Au début du XIXe siècle, Anthelme Collet multiplie les déguisements et les fausses identités pour escroquer militaires, ecclésiastiques et banquiers. Il inspira le Vautrin de Balzac.
Le 3 janvier 1821, un article du Constitutionnel évoque un procès qui s'est tenu l'année précédente :
"C'est celui d'Anthelme Collet, se disant tantôt Gollot, tantôt Gallat : condamné à vingt ans de travaux forcés par la cour d'assises du département de la Sarthe pour crime de faux. Collet s'est signalé par ses friponneries en France et en Italie sous différents noms et sous le costume de prêtre, de frère des écoles chrétiennes, d'évêque, de militaire et d'inspecteur aux revues. Ce procès est digne de figurer dans les causes célèbres par la singularité du caractère de cet insigne escroc."
Né en 1785 à Belley, Anthelme Collet était un escroc professionnel. La liste de ses méfaits est impressionnante. Il a 23 ans lorsqu'il commet sa première entourloupe : alors qu'il est étudiant chez les missionnaires du couvent de Saint-Pierre à Cardinal, le père supérieur lui confie une mission auprès d'un banquier napolitain. Il escroque ce dernier de 22 000 francs et ne revient pas au couvent.
Dès lors, il va multiplier les déguisements (évêque, chirurgien, moine, officier...) pour arnaquer banquiers, ecclésiastiques et militaires à travers la France et l'Italie. En 1843, Le Siècle raconte comment il se fit passer pour un religieux (il participe à l'ordination de 60 prêtres !) puis pour un inspecteur des armées.
"Anthelme Collet commença ses opérations dans un couvent de la Lombardie. Frère quêteur, il s'enfuit avec 5 000 francs de recette, et se retire chez le cardinal Fesch, qui lui fait un accueil bienveillant. Collet lui vole une bulle d'évêque et se présente avec le titre et le costume de prince de l'église. À Saspelle, où tout le clergé lui rend hommage, il assiste à l'ordination de soixante séminaristes auxquels il donne sa bénédiction ; puis il leur débite sur l'ordre un sermon de Bourdaloue.
Forcé de renoncer aux dignités ecclésiastiques, Collet vient à Paris, se fait présenter au ministère de la Guerre et reçoit une commission de lieutenant dans un régiment de ligne en garnison à Brest. Peu content de cette place qui ne satisfaisait pas ses hautes ambitions, il se crée de son autorité privée une commission d'inspecteur général, il se confère les pouvoirs d'organiser l'armée de Catalogne ; habile faussaire, il se fabrique l'autorisation de puiser à son gré dans les caisses de l'état, se compose un état-major, passe des revues, distribue des croix, comme il avait distribué des bénédictions. Toutes ces escroqueries conduisirent à la fin Collet au bagne de Brest, où il passa dix-neuf ans dans une sorte d'opulence dont personne n'a pu encore pénétrer la source impure."
Arrêté en 1820, il est condamné à vingt ans de réclusion, d'abord au bagne de Brest, puis à celui de Rochefort. En 1836 paraissent ses Mémoires, dans lesquelles il narre ses exploits. Il meurt en 1840, seize jours avant d'être libéré.
Entre-temps, son nom est devenu célèbre dans toute la France. Balzac s'inspire de lui pour son personnage de Vautrin, qui apparaît de façon récurrente dans La Comédie humaine. En 1856, un feuilleton lui est consacré dans le Figaro :
"Rusé, audacieux, spirituel, plein d'ambition et de convoitise, mais paresseux et fantasque, il employa tous les moyens pour arriver à son but, qui était non seulement la richesse, mais les honneurs et le rang. Étrange organisation de l'homme, qui veut acquérir par le crime ce qu'on n'accorde qu'au mérite et à la pureté de la vie !
Tour à tour officier, abbé, noble, marin, curé, général, frère ignorantin, évêque, il emprunta à tous les rangs sa part d'existence en ce monde, à tous les crimes les moyens d'y parvenir. Il ne recula que devant un seul, l'assassinat ; sous ce rapport, les plus sévères investigations ne purent fournir la preuve d'un attentat de ce genre.
Ennemi de la société, parce qu'il n'eut pas le courage de se soumettre à ses lois, il la combattit par la ruse, profita de ses fautes, flatta ses vices, et déploya plus de ressources et de talent pour acquérir cette position qui devait le conduire aux bagnes qu'il ne lui en eût fallu pour arriver aux premiers emplois. Sous ce rapport, Collet est le vrai brigand philosophe."
Les archives judiciaires ont révélé en outre que Collet, s'il ne commit aucun meurtre, était un pédophile cherchant ses proies parmi de jeunes garçons de 13 à 17 ans qu'il prenait à son service. La justice de l'époque ne s'intéressait guère à cet aspect de sa personnalité.