La flétrissure, ou quand les criminels français étaient marqués au fer rouge
Peine afflictive et infamante, la flétrissure a été largement utilisée sous l'Ancien Régime. Abolie sous la Révolution, elle sera rétablie par Napoléon – avant de disparaître définitivement.
Douleur immédiate et infamie à vie : tel était le lourd châtiment des criminels condamnés à la flétrissure.
Sous l’Ancien Régime, la peine de flétrissure consiste à marquer au fer rouge l’épaule du condamné d’une fleur de lys, qui laisse la place, en 1724, à une lettre explicitant la cause de la condamnation : « V » pour voleur, « M » pour les mendiants récidivistes et « GAL » pour galérien.
La marque gravée dans les chairs de ces condamnés est indélébile. Peu importe qu'ils aient purgé leur peine, la flétrissure les désigne à vie comme des criminels et de potentiels récidivistes. Pour échapper à cet inexorable destin, certains s'infligent un supplice supplémentaire en s'arrachant la peau, en la brûlant et la scarifiant pour effacer ou masquer le signe d'infamie.
On comprend dès lors que la flétrissure ait aussi un caractère fortement dissuasif... En 1773, La Gazette du commerce avertit ainsi une bande de « fripons » qui trompent leurs clients sur la contenance de leurs bouteilles d'eaux-de-vie :
« Cet abus est au surplus de la nature de ceux que la Justice a le droit de réprimer, car c'est un vol réel.
Ceux qui le commettent en seroient bientôt dégoûtés, s'ils étoient poursuivis devant les Tribunaux & condamnés avec flétrissure, selon que la fraude peut le mériter. »
En 1791, la question des peines en matière criminelle fait débat à l’Assemblée nationale législative.
À l'heure où les révolutionnaires ont à coeur de remettre à plat la justice de l'Ancien Régime, le caractère perpétuel de la flétrissure, incompatible avec le principe de réinsertion, est remis en cause.
« M. Duport [l'un des principaux auteurs de la réforme judiciaire] a présenté la rédaction d’un article qui abolit toute flétrissure.
Il a fait valoir la possibilité de rendre un criminel à la société après une longue expiation, et le décret a été rendu en ces termes :
“La réintégration dans l’état de citoyen pourra avoir lieu, et aucune marque ou flétrissure perpétuelle ne sera imprimée sur le corps du condamné” ».
La flétrissure est, de fait, abolie par l'article 2 du décret du 26 septembre 1791. Elle est rétablie moins de vingt ans plus tard par Napoléon Bonaparte, soucieux de maintenir la sécurité à l'intérieur de l'État.
Le législateur impérial est donc enclin à réclamer des peines sévères, à vocation d'exemplarité et de dissuasion. Les condamnés à la peine des travaux forcés à perpétuité sont systématiquement flétris « sur la place publique, par l’application d’une empreinte avec un fer brûlant sur l’épaule droite », comme en dispose l'article 20 du Code pénal de 1810.
Les condamnés sont marqués de l'empreinte des lettres « T. P. » pour travaux forcés à perpétuité, de la lettre « T » pour travaux forcés à temps limité. La lettre « F » est ajoutée à l'empreinte pour les faussaires, la lettre « V » pour les voleurs et le numéro du département où siège la Cour criminelle qui a rendu le jugement.
Dès 1810, la flétrissure redevient l’un des châtiments les plus courants en France. Elle est souvent assortie de la peine du carcan, qui consiste à attacher un condamné à un collier métallique en place publique.
La Gazette nationale se fait le relai des nombreuses condamnations à la flétrissure :
« La cour de justice criminelle et spéciale du département de l’Arriège a, par arrêt du 19 mars 1810, condamné à huit années de fers et à la flétrissure, le nommé Louis Delboy, de la commune de Casavet, arrondissement de St-Girons, convaincu de faux en matière de conscription. »
« Marie-Anne Blin, veuve Salon, âgée de 48 ans, née à Saint-Diziers, département de la Haute-Marne, sans état, demeurant à Paris, rue des Vieux-Augustins, convaincue d’avoir fait usage de plusieurs reconnoissances du Mont-de-Piété qu’elle savoit avoir été falsifiées, a été condamnée à quatre années de réclusion, au carcan, à la flétrissure, et à la mise en surveillance, etc. »
« La cour d'assises de Paris a condamné avant-hier au carcan, à la flétrissure et à cinq ans de réclusion un nommé Pierre Duverrier, âgé de 33 ans, soit-disant homme de lettres et avocat, demeurant à Paris rue des Brodeurs.
Il a été convaincu d'avoir fabriqué de fausses lettres missives, supposées écrites et signées par des personnages très connus adressées aux administrateurs de bibliothèques publiques pour en obtenir, à titre de prêt, des livres rares et précieux ; d'avoir en effet, à l’aide de ces fausses pièces, soustrait frauduleusement plusieurs livres des bibliothèques et de les avoir vendus pour en tirer quelques ressources. »
En 1832, la peine de flétrissure est définitivement abolie, pour les mêmes raisons qu’en 1791.
« En attendant du temps et de la raison publique de plus amples améliorations dans notre législation criminelle, nous avons cependant obtenu l'abolition de la flétrissure, qui, par la perpétuité de la cicatrice infamante semblait interdire à celui qui fut coupable tout retour à la probité. »