L’assassinat de Jean Jaurès en 1914
Café du Croissant. 31 juillet 1914 21h40 : « Ils ont tué Jaurès ».
Un climat de haine
Depuis son engagement en faveur de Dreyfus en 1898, Jean Jaurès suscite l’hostilité d’une partie de l’opinion qui n’apprécie guère ses critiques envers le capitalisme ou encore la conquête coloniale. Par ailleurs Jaurès ne partage pas le sentiment de revanche et se refuse à ce que la France récupère l’Alsace-Lorraine par les armes. Il est alors accusé d’être un agent au service de l’Allemagne ! En 1913, les attaques redoublent au moment du débat autour de la loi sur le recrutement de l’armée. Opposé à l’allongement du service militaire, Jaurès se retrouve également taxé d’antimilitarisme. Le climat se détériore… Dans la revue de presse de L’Action française du 23 juillet 1914, Critias, qui commente un article de Jaurès paru dans L’Humanité, lance une menace à peine voilée et parle d’un possible « assassinat politique » :
« Nous ne voudrions déterminer personne à l’assassinat politique. Mais que M. Jean Jaurès soit pris de tremblement ! Son article est capable de suggérer à quelque énergumène le désir de résoudre par la méthode expérimentale la question de savoir si rien ne serait changé à « l’ordre invincible » dans le cas où le sort de Gaston Calmette serait subi par Jean Jaurès. »
D’autres journaux se montrent tout aussi virulents : Le Temps, L’Écho de Paris ou encore Paris-Midi et les caricaturistes s’avèrent souvent féroces, comme Forain pour Le Figaro.
Du meurtre à la guerre
Tout au long du mois de juillet 1914, après l’attentat de Sarajevo et l’ultimatum adressé à la Serbie par l’Autriche-Hongrie, Jaurès emploie toute son énergie à sauvegarder la paix. Il milite pour la grève générale en cas de déclenchement du conflit. Le soir du 31 juillet 1914, alors qu’il dîne au café du Croissant avec un groupe d’amis et de collaborateurs de L’Humanité, Raoul Villain fait feu sur lui et l’assassine. Il prend la fuite mais se fait arrêter peu de temps après.
L’Humanité titre le lendemain « Jaurès assassiné » et porte le deuil. De nombreux journaux comme Gil Blas insistent sur le caractère déséquilibré du coupable et sur ses motivations :
« Le meurtrier, qui est très élégant, est le fils d’un greffier du tribunal civil de Reims. Il avait sur lui, au moment de son arrestation, deux revolvers chargés. Après que Villiain se fut décidé à parler, il raconta en termes confus que la campagne de Jean Jaurès contre la loi de trois ans avait exaspéré son patriotisme, que celui-ci était coupable du crime de haute trahison. »
« Toutefois on remarqua une incohérence telle dans ses paroles que l’on croit que son état mental est complètement déséquilibré. D’ailleurs, les renseignements parvenus aussitôt après que l’on connut l’identité de l’assassin ont confirmé ses dires, à savoir, que sa mère est enfermée depuis 20 ans dans un asile d’aliénés. »
L’Écho de Paris, qui avait pourtant violemment critiqué les opinions de Jaurès, rappelle la gravité du contexte qui exige « l’union de tous les concitoyens ». Ce meurtre met fin aux derniers espoirs de paix. Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France et les députés socialistes se rallient à l’Union sacrée en votant les crédits de guerre. Le Petit Journal relate le crime dans le détail et décrit des manifestants qui s’exclament : « Vive Jaurès ! À bas la guerre ! ». Il insiste aussi sur l’imminence du conflit :
« Le sort en est jeté. Nous sommes à la veille de la guerre. Toutes les puissances sont sous les armes. L’Autriche a mobilisé, la Russie, répondant à cette initiative, a mobilisé à son tour, l’Allemagne mobilise, et la France ne peut pas se mobiliser. »
Jean Jaurès (1859-1914)
Né en 1859, devient professeur agrégé de philosophie. Il est élu député de Carmaux (Tarn) en 1885. D'abord républicain modéré, il évolue vers le socialisme en soutenant la grève des mineurs de Carmaux. À la Chambre, Jaurès dénonce la corruption lors du scandale de Panama. En 1898, il intervient à propos de l'affaire Dreyfus et soutient la cause du capitaine. Il s’engage contre la peine de mort. Pacifiste convaincu, il s’oppose en 1913 à la prolongation du service militaire (loi des Trois ans). Le 29 juillet 1914, à Bruxelles, il prononce un grand discours où il appelle à la paix. Le 31 juillet, il est assassiné à Paris, au café du Croissant, par Raoul Villain, un nationaliste fanatique.