Ce récit de cauchemar éveillé est celui d’Adrienne Bolland, aviatrice française, au mois de juillet 1921 tandis qu’elle célèbre, entourée de journalistes français venus en Uruguay pour l’interviewer, son triomphe accompli trois mois plus tôt entre l’Argentine et le Chili. Elle est en effet sortie vivante d’un vol en avion au-dessus de la cordillère des Andes.
Adrienne Armande Pauline Bolland, née en 1895 à Arcueil, est la petite dernière d’une fratrie de sept enfants. Son père, Henri Boland, décède alors qu’elle est âgée de quatorze ans. La jeune fille comprend rapidement qu’elle devra travailler pour soutenir sa mère, qui se trouve alors dans une situation financière précaire. Son vœu le plus cher est ambitieux, surtout pour une femme d’alors : devenir pilote d’avion.
En 1919, et malgré la désapprobation de sa famille, Adrienne Bolland entame une formation de pilote d’essai auprès du pionnier de l’aviation René Caudron. Sérieuse et déterminée, elle obtient son brevet de pilotage en seulement six mois. À cette époque, seule une dizaine de femmes sont parvenues à le décrocher. Lors de meetings aériens, elle multiplie les prouesses techniques dans les airs. Elle semble n’avoir peur de rien.
Un an plus tard, le 25 août 1920, elle réalise un premier exploit en étant la première femme à traverser la Manche depuis la France. Avide de sensations fortes, elle décide de tenter un vol encore plus périlleux encore, plusieurs aviateurs y ayant déjà laissé leur vie : survoler l’immense chaîne de montagnes d’Amérique du Sud, la cordillère des Andes, qui culmine à quelque 7 000 mètres d’altitude au sommet de l’Aconcagua.
Elle est âgée de seulement 24 ans lorsqu’elle débarque en Amérique du Sud, en 1921, pour faire quelques essais à bord de son avion, son « fidèle Caudron G-3 » à moteur de 80 chevaux. Mais l’engin, un véhicule datant de 1914, peine à monter au-delà de 4 000 mètres d’altitude. Quoiqu’elle demande à René Caudron un avion plus puissant, sa demande n’aboutit pas. Qu’à cela ne tienne, elle refuse de rentrer bredouille et décide de tenter de relever le défi à bord de son antique G-3.
Au matin du 1er avril 1921, elle décolle de Mendoza, à l’ouest de l’Argentine. Mais peu de temps après son départ, les ennuis commencent. Voici le récit de la jeune aviatrice rapporté par le journal Le Gaulois :
« Je ne vous cacherai pas que lorsque, à l’altitude de 4 100 mètres, je me suis trouvée en présence des monts de la cordillère des Andes, j’ai douté de les franchir.
Le poids de mon appareil m’inquiétait. Je manœuvrais en conséquence jusqu’à une perte complète de 50 kilos de combustible ; j’avais alors devant moi les monts Toutoungato (sic) et l’Aconcagua, qui ne m’offrait qu’un espace restreint de 150 mètres.
Je n’avais pas à hésiter, le moment était critique ; mais, résolue à réussir, je fis l’impossible et je franchis ce passage sans incident. »