Grandes Unes

Fausse nouvelle en Une : la traversée (ratée) de Coli et Nungesser

le 19/03/2024 par La Presse
le 04/03/2024 par La Presse - modifié le 19/03/2024

Le 8 mai 1927, l’avion L’Oiseau blanc piloté par Charles Nungesser et François Coli décolle du Bourget pour tenter de réaliser un exploit alors inédit : le premier vol sans escale Paris−New York. Le 10 mai, La Presse publie une édition spéciale annonçant leur réussite ; mais L’Oiseau blanc n’atteignit jamais New York.

C’est au mois de mai 1919 qu’est traversé l’Atlantique pour la première fois : l’Américain Albert Cushing Read décolle de Long Island et atterrit, après vingt-trois jours et cinq escales, à Plymouth. Dès le mois suivant, les Britanniques John Alcock et Arthur Whitten Brown accomplissent l’exploit de traverser l'Atlantique sans escale, en reliant Terre-Neuve à Clifden. Ces prouesses de la modernité passionnent évidemment la presse et le public, et les préparatifs du nouvel exploit de Nungesser et Coli sont particulièrement médiatisés.

Partant du Bourget, L’Oiseau blanc doit survoler la Manche, le sud-ouest de l'Angleterre et l'Irlande avant de traverser Atlantique pour atteindre New York en amerrissant devant la statue de la Liberté. Le 9 mai, la foule se masse à New York pour assister à la réalisation de l’exploit, tandis que le lendemain les Parisiens se pressent aux sièges des grands titres de presse afin d’obtenir des nouvelles. C’est le journal La Presse qui est le premier à en donner dans son édition spéciale, titrant « Nungesser et Coli ont réussi » et allant jusqu’à inventer les premières déclarations de Nungesser à l’arrivée. Si, le jour même, plusieurs autres titres de presse majeurs relaient la fausse information, L’Humanité fustige les « marchands de fausses nouvelles » de la « presse bourgeoise » et fait un point détaillé sur la circulation des informations. Ainsi, il devient rapidement public que leur arrivée n’a en fait jamais été confirmée. Et pour cause : personne ne sait ce qu’est devenu L’Oiseau blanc – on commence même par se demander s’il a bien traversé la Manche.

Les investigations se multiplient, mais le mystère reste entier. Dix jours seulement après leur disparition, l'Américain Charles Lindbergh est le premier à réussir l’exploit du vol Paris−New York sans escale. En France, les titres mis en cause tentent maladroitement, par une dépêche commune, de renvoyer la responsabilité sur les agences de presse… Cette affaire relance le débat sur les dérives de l’information toujours plus rapide, « à l’américaine », qui semblait alors apaisé.

La disparition de L'Oiseau blanc reste encore aujourd’hui l'un des plus grands mystères de l'histoire de l'aviation. Plusieurs enquêtes ont toutefois été menées au cours des décennies, et l’hypothèse récemment acceptée aujourd’hui est sa disparition au large de Saint-Pierre-et-Miquelon.

LES HEURES D'OR DE L'AVIATION FRANÇAISE

NUNGESSER ET COLI ONT RÉUSSI

 

Les émouvantes étapes du grand raid

A 5 heures, arrivée à New-York

 

PENDANT LA RAFALE

Nungesser à Verdun

Il y avait quelques semaines que la grande bataille de Verdun s'était déclenchée et ce matin-là, le temps complètement bouché ne permettait pas aux escadrilles de s'envoler. La brume et une pluie fine avaient transformé le ciel en une grisaille opaque dans laquelle on n'y voyait pas à cinquante mètres. Les mécaniciens et les pilotes se promenaient le long des hangars ouverts, mais à l'intérieur desquels les avions se reposaient sans espoir de voler ce jour-là.

Le calme régnait et rien ne faisait prévoir qu'un événement imprévu allait troubler la tranquillité du terrain d'aviation de Lemmes. Et pourtant.

Vers 10 heures, on aperçut venant de la direction de Bar-le-Duc, au ras des hangars dans la brume opaque, un Nieuport de chasse volant à 150 kilomètres à l'heure et se dirigeant vers le terrain comme pour y atterrir. Avec une précision extraordinaire, le pilote se posa au milieu du champ et arrêta son appareil en quelques mètres.

Nous étions là un certain nombre de pilotes et de mécaniciens à nous demander quel était l'audacieux qui se promenait par un temps pareil. Nous attendions avec impatience qu'il descende de son avion pour l'identifier. Mais notre attente fut vaine ; vaguement inquiets, nous nous dirigeâmes vers l'appareil.

Une tête dépassait le fuselage. Elle était enfouie sous un bonnet de cuir, la bouche était enfermée sous un cache-nez enroulé plusieurs fois, de larges lunettes couvraient les yeux. Aucun signe distinctif sur l'avion, dans ces conditions, impossible de savoir qui était à son bord. Une main gantée abaissa le cache-nez qui couvrait la bouche et une voix dit :

- Veuillez m'aider à descendre.

Dès que les lunettes furent relevées sur le front, je reconnus Nungesser que je savais, l'avant-veille encore, grièvement blessé à l'hôpital, non loin de Paris.

- Toi ? lui dis-je ?

- Il y avait trop longtemps que j'étais couché, ça été plus fort que moi, il a fallu que je revole.

Nous le descendîmes de l'avion, il nous pria d'y prendre deux cannes accrochées à l'intérieur du fuselage, nous les passâmes à Nungesser et il se dirigea vers la tente de son escadrille, en marchant comme un vieillard, le corps courbé, les mouvements hésitants, les traits tirés.

Il avait, un mois avant, fait une terrible chute en essayant un nouvel appareil de chasse et lorsqu'on le retira des débris de la machine, son corps n'était que plaies, fractures et contusions. Le corps, mais l'âme n'avait reçu aucune atteinte, la volonté demeurait aussi virile, les nerfs aussi calmes.

Nungesser prit quelque repos, déjeuna à la popote des officiers ; vers 3 heures, le temps était levé, il s'envola sur les lignes. Il revenait deux heures après, satisfait de son essai.

Ses blessures n'avaient pas diminué ses qualités de pilote.

Il repartait le lendemain, bataillait avec trois boches, descendait dans l'après-midi un bi-moteur allemand et attaquait avec succès un ballon d'observation.

Lorsqu'il revint atterrir à Lemmes, j'examinai avec intérêt son appareil, il était criblé de balles et l'une d'elles avait pénétré dans l'avion, arrachant l'appuie-tête du pilote à quelques centimètres du cuir de son bonnet.

- Tu vois celle-là, dit Nungesser, le hasard l'a placée là où elle est ! L'heure n'avait pas sonné pour moi. Le destin règle à son gré notre avenir.

Pendant des semaines et des semaines, Nungesser de front en front, abattit des avions, succéda à Guynemer plus d'un an après, comme "as des as", puis couché à nouveau sur un lit d'hôpital par de multiples blessures, il céda sa place de premier chasseur du monde à René Fonck, qu'une providence extraordinaire épargna toujours et qui ne reçut jamais une seule balle dans son appareil.

Le départ des aviateurs

Le train d'atterrissage retrouvé à Moissel

 

On croyait que Nungesser ne lâcherait son train d'atterrissage qu'une fois arrivé au-dessus de l'océan. Il se réservait ainsi la possibilité d'atterrir soit en France, soit au sud-ouest de l'Angleterre, soit encore en dernier ressort à la pointe extrême sud de l'Irlande. De ces deux endroits il aurait pu repartir, soit pour rejoindre la France, soit pour tenter, malgré une escale, un vol qui l'aurait emmené jusqu'à New-York.

Mais Nungesser savait que, lâchant son train d'atterrissage aussitôt après le départ, la vitesse de son appareil était augmentée de 20 kilomètres à l'heure, ce qui, sur les trente-six heures de son voyage, lui permettrait de parcourir, avec la même provision d'essence, 720 kilomètres de plus. Il décida donc de le laisser choir peu après le Bourget, afin de tout de suite obtenir un gain de vitesse appréciable, prouvant ainsi dès les premières heures de son vol, qu'il tenait à jouer son va-tout.

Le train d'atterrissage est tombé à Moissel en Seine-et-Oise, où il a été retrouvé dans un champ, puis de là, transporté à la mairie. Nungesser a abordé la mer à basse altitude : il n'était pas à 500 mètres de hauteur. Cela s'explique en raison de la lourde charge d'essence qu'il avait encore à bord et qui ne lui permettait pas de beaucoup s'élever.

Les seules nouvelles qu'on possédait, ce matin, consistent en un communiqué irlandais signalant le passage du grand oiseau sur l'Irlande et, d'autre part, un radio américain signalant le passage au-dessus de Terre-Neuve.

La traversée de l'Atlantique serait donc en principe réussie. On ignore les conditions atmosphériques dans lesquelles le raid s'accomplit. En effet, d'une part, la météo française indique un beau temps sur l'Atlantique et sur Terre-Neuve alors qu'un radio qui nous parvient de source américaine, indique que sur la grande île, la neige tombe et la brume est intense.

Dans les milieux aéronautiques français, on se montrait assez fiévreux ; on attendait avec impatience une certitude quelconque sur la dernière partie du voyage entre Terre-Neuve et New-York. [...]

L'ARRIVÉE

Ils survolent Boston

Une dépêche privée qui nous parvient à 4 heures 40 de Boston, signale que les aviateurs viennent de survoler la ville, se dirigeant à vive allure vers New-York.

5 heures, New-York

Lorsque l'avion de Nungesser apparut au-dessus de la rade de New-York, le commandant Foullois, chef de l'aviation maritime de chasse, s'était porté à son devant avec une escadrille et, dès que l'avion fut en vue, les sirènes des bateaux mugirent et les bâtiments hissèrent le pavillon. De nombreuses embarcations de plaisance s'étaient portées au large de la baie, ainsi que plusieurs avions militaires, du service postal et civils, ces derniers loués par les agents cinématographiques et les grands journaux.

L'amerrissage se fit dans d'excellentes conditions et l'appareil fut aussitôt entouré de nombreuses embarcations, tandis que plusieurs hydravions le survolaient à basse altitude.

Nungesser et Coli, après s'être posés sur l'eau, restèrent un instant immobiles dans leur appareil comme insensibles aux acclamations qui montaient des embarcations qui les entouraient. Puis, ils se levèrent tous deux de leur siège et s'embrassèrent. Un canot automobile vient se ranger le long du fuselage de l'avion et conduisit Nungesser et Coli à quai. Une foule immense les attendait ; parmi ceux qui les reçurent officiellement, plusieurs délégués du gouvernement, M. Harmont frère de M. Clifford, Harmont, président de la Ligue Internationale des Aviateurs, auquel Nungesser devait remettre un pli qu'il avait apporté de Paris ; le président de l'AéClub des États-Unis, le président de la Section de la Ligne Internationale des Aviateurs, un nombre considérable de journalistes et de cinématographistes.

Nungesser n'a fait aucune déclaration sur son voyage, il a simplement dit qu'il était heureux d'avoir réussi et qu'il avait hâte de se reposer.