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Le Journal
Le Journal
Les Unes emblématiques de ce titre de presse
Fondé en septembre 1892 par Fernand Xau, le quotidien Le Journal fut l’un des titres de presse les plus importants au début du XXe siècle. Modéré, parfois frileux, il séduit une large audience populaire par son contenu littéraire de qualité et la collaboration de grandes signatures. D’une sensibilité républicaine à ses débuts, il s’en détache peu à peu pour adopter une ligne davantage nationaliste et anticommuniste – assurément de droite – sans jamais côtoyer les extrêmes. La guerre et une sombre affaire d’espionnage viennent entacher sa réputation et imputer sérieusement son assise dans les kiosques français. Publié en zone sud sous l’Occupation, le journal disparait en juin 1944.
D’abord imprésario de Buffalo Bill lors de sa tournée en France, Fernand Xau (1852-1899) multiplie les papiers et officie en qualité de reporter pour L’Écho de Paris avant de lancer son propre journal le 28 Septembre 1892. Ce sera Le Journal, une publication quotidienne aux ambitions populaires dont l'objectif initial était de créer un « journal littéraire et mettre à la portée des petits commerçants, des ouvriers, des instituteurs, des employés un peu de littérature…la table d’hôte à prix réduits ». Le lancement du titre reste encore dans les annales du journalisme et a depuis ouvert la voie à d’intenses campagnes de promotions. Paris s’était alors retrouvé placardé d’affiches, de banderoles au nom du journal et la ville croulait sous les quelques 200 000 tirages de ladite publication.
La littérature et les contes occupent une place de choix dans ce tirage à bas prix – cinq centimes – qui accueille dans ses colonnes de grandes plumes à l’instar de Catulle Mendès, Gyp, Armand Sylvestre, Mirbeau, Léon Daudet ou encore Raoul Ponchon. Le quotidien s’enrichie de divers suppléments tout au long de son existence parmi lesquels, Le Journal pour tous, Le Mode du Journal, La Vraie Mode, Le Journal édition du littoral, ou encore l’ Écho des sports qu’il avait racheté en 1929.
Le succès est fulgurant. Moins de dix ans après sa création les tirages avoisinent déjà les 500 000 exemplaires, et le journal rejoint très vite les trois autres grands de la presse de l'époque que sont Le Matin, Le Petit Journal et Le Petit Parisien.
Sans réelle prise de position politique affirmée, le Journal assoit sa popularité sur un contenu informatif et littéraire dense et convaincant mais prêche la neutralité et la modération lors des grandes affaires notamment lors de l'affaire Dreyfus où il reste silencieux même s’il continue de publier les écrits d’auteurs ouvertement dreyfusards à l’image de Mirbeau
La vie du quotidien fut aussi régie par une intense rivalité avec Le Matin. Les deux journaux visaient un même public assez populaire, plus urbain qu’ouvrier, cultivant une certaine prétention à la culture et manifestement moins à gauche que leurs confrères. A plusieurs reprises Le Matin formula des critiques véhémentes contre ce journal qu’il qualifiait de « feuille pornographique ». Il n’hésita pas non plus à distribuer sur les boulevards parisiens un «Journal des Satyres » composé d’extraits des contes publiés par le Journal – une initiative rapidement écourtée par les autorités pour outrage aux bonnes mœurs. Les inimitiés s’amenuisent en 1912 lorsque les publications commencent à se rapprocher sur le plan publicitaire.
Malgré un succès florissant et un tirage d’autant plus élevé, Fernand Xau épuise rapidement les capitaux disponibles et doit alors faire appel à la commandite d’Eugène Letellier (1867-1960). Ensemble, ils vont fonder la société anonyme au capital de 400 000 francs et amorcer le rachat de Gil Blas. Mais les relations entre les deux hommes vont de mal en pis et à la mort de Xau en 1899, Letellier reprend la direction de la publication et confie la direction politique à Gabriel Hanotaux.
Sans jamais délaisser la trame littéraire originelle, Le Journal subit quelques transformations. Il devient le premier quotidien à utiliser des linotypes et consacre des pages entières aux grands reportages dans lesquels s’illustrent des journalistes tels que Ludovic Naudeau, Roland Dorgelès ou encore Henri Béraud et sa série d’articles intitulés « Ce que j’ai vu à Moscou » - formulation reprise pour un grand nombre de titres – et se rapproche très souvent du sensationnalisme.
Le lectorat afflue en masse. En 1904 le journal tire à 600 000 exemplaires, 750 000 en 1908, 800 000 en 1912 et près d’un million de feuilles en 1913. Lorsque Charles Humbert prend la direction politique de la publication en 1911, il l’oriente vers une mouvance très ancrée à droite, nationaliste et militariste.
En 1915 la diffusion du journal est confiée à la société Hachette, largement financée par la Banque de Paris et de Pays Bas. La guerre entraîne de facto une baisse des tirages mais c’est une affaire de capitaux allemand et de soupçons d’espionnage qui va durablement affecter la vie de la publication. Pierre Lenoir – actionnaire de l’entreprise – est convaincu d’espionnage après avoir accepté des financements allemands. Il est condamné à mort et exécuté le 24 octobre 1919. La feuille perd la moitié de ses lecteurs conséquemment à cette affaire. François- Ignace Mouthon reprend alors les rênes de la direction.
Le déclin se poursuit à l’entre-deux guerres. La nouvelle formule axée sur les grands reportages et les enquêtes ne permet pas à la publication de renouer avec le succès. En 1925, le journal est vendu à un groupe d’investisseurs composé de l’Agence Havas, du directeur du Casino de Deauville et de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Les tirages s’élèvent encore à 650 000 exemplaires en 1936 pour fléchir en 1939 où l’on recense 411 000 copies.
La résistance naturelle de la presse contre l’hégémonie des quatre grands titres, l’arrivée de Paris-Soir, la popularité des journaux de gauche et la montée du prix de vente viennent affaiblir une publication au demeurant fébrile. Fervent opposant au communisme et à la gauche en général - particulièrement lors de la gouvernance du Front Populaire - Le Journal ne prête pourtant aucune sympathie aux mouvances d’extrême-droite même s’il préconise une alliance avec l’Italie fasciste davantage par anticommunisme que par véritable affiliation au programme. Le Journal se replie en zone sud dès la défaite de 1940, à Limoges, Marseille puis Lyon - où abondent les imprimeries - mais le journal cesse de paraître en juin 1944 avec les autres journaux ayant continué à paraître légalement sous l’Occupation.