Maupassant : « La race française est malade »
En 1885, Guy de Maupassant accuse le système éducatif français d'être « la plus grande cause d'affaiblissement et de décadence de notre société moderne ».
Auteur prolifique et reconnu de son vivant, célèbre pour la finesse de ses descriptions des mœurs de son époque, Guy de Maupassant a été toute sa vie un observateur attentif de la société. Chroniqueur à L'Écho de Paris et Gil Blas jusqu'à sa mort prématurée en 1891, il a livré des dizaines de chroniques parfois extrêmement virulentes et polémiques (voir sa leçon de "Psychologie politique").
En 1885, Maupassant s'attaque au système éducatif français qu'il accuse d'affaiblir l'enfance :
"Le lycée, le collège, la pension, tels que nous les comprenons, constituent le plus grand mal, la plus grande cause d'affaiblissement et de décadence de notre société moderne.
Ils ne sont en réalité que des établissements publics d'étiolement, où on courbature l'âme trop jeune en surmenant ses organes en formation, et on comprime la sève humaine en violentant la nature, en imposant à l'être qui grandit un esclavage stérile et épuisant, en arrêtant, pendant les seules années qui lui sont nécessaires, l'épanouissement de la force animale. [...]
Et tout cela pour rien, pour le plaisir d'abâtardir une race, car l'enfant ne peut profiter de ces connaissances accumulées, irraisonnées, jetées pêle-mêle, entassées dans un esprit trop faible."
L'auteur prend pour contre-exemple le modèle des grands collèges qui sont alors légion en Angleterre et "où l'on enseigne l'équitation, la natation et le reste avec autant de soin que les langues, l'histoire ou les mathématiques" :
"Voyons les Anglais, pourtant dont la valeur intellectuelle se manifeste avec assez d'éclat et de succès pour qu'on ne la puisse contester : ils s'occupent d'abord des muscles et du corps. [...] À partir de midi, la classe est fermée et la récréation commence pour durer jusqu'à la nuit. Cette méthode n'est-elle pas logique et sage ?"
Loin d'en faire une question triviale, Maupassant y voit au contraire un enjeu politique essentiel. C'est faire œuvre de patriotisme, selon lui, que d'élever les enfants de manière à en faire des hommes vigoureux :
"Or, le patriotisme, chez nous, est surtout de parade et de démonstration. Quand il est sincère, il se produit par élans impétueux et souvent intempestifs. Mais ce patriotisme muet, effectif et persévérant qui s'attacherait surtout à améliorer, dès le bas-âge, une race entière, n'est guère dans la nature française."
Une fois n'est pas coutume, l'écrivain chroniqueur se fait férocement critique vis-à-vis de la classe dirigeante :
"Il existe, il est vrai, un comité d'hygiène qui se réunit périodiquement dans une salle du ministère. On y discute, on y prend des résolutions et on y formule des vœux qu'on soumet au ministre. Le ministre les transmet aux commissions d'enseignement où siègent de vieux savants malingres qui haussent avec mépris leurs épaules bossues, en murmurant : « Si on tenait compte de tout ça, on ne pourrait pas seulement apprendre à lire. »"