Écho de presse

La première femme cochère de France, événement inouï pour les Parisiens

le 14/05/2021 par Marina Bellot
le 04/07/2018 par Marina Bellot - modifié le 14/05/2021
La première femme cochère de France dans Le Journal en 1907 - source : RetroNews-BnF

En 1906, une femme est pour la première fois admise à l'examen de cocher. Son apparition dans les rues de Paris devient alors l'objet de toutes les curiosités. 

1906, stupeur et embarras à la préfecture de police de Paris : une femme, dénommée Mme Dufaut, vient de demander à passer l’examen de cochère, métier alors exclusivement masculin. 

L’Écho de Paris rapporte :  

« On est, paraît-il, fort embarrassé, à la préfecture de police, parce qu'une femme, d'ailleurs très honorable et très décidée, vient de demander à passer l'examen de cocher de fiacre. 

Elle a très assidûment suivi les cours fondés par la Société de l'Assistance aux animaux, cours excellents dont le but est de nous donner des cochers bien élevés, soigneux de leurs chevaux et capables de les conduire en les ménageant. »

Il ne s’agit pourtant pas là d’un acte politique ou féministe, précise le journaliste, mais d’une louable volonté de gagner sa vie :

« La postulante, qui est entre parenthèses une gaillarde solide, ne demande qu'à gagner honorablement sa vie et, sans faire acte de féminisme, explique très simplement qu'elle compte avoir de nombreuses clientes. 

“Beaucoup de femmes, dit-elle avec raison, ont eu à se plaindre dans Paris des façons de certains cochers ; des mères de famille emmenant leurs enfants avec elles auront plus de confiance dans une femme pour les conduire que dans un homme”. »

Si la préfecture de police ne dispose, à regret, d’aucun argument juridique pour refuser à Mme Dufaut le droit de s’inscrire à l’examen, la prétendante a pourtant droit à un traitement particulier, comme l’indique La Petite République :

« Il est certain, nous répond l’inspecteur divisionnaire, que notre enquête sera, en l’occasion, plus sérieuse, plus étendue et aussi plus délicate que celle, de pure formalité, que nous ordonnons pour les postulants. »

En janvier 1907, les journaux annoncent la nouvelle : « Une représentante du beau sexe a passé, hier, avec succès, l'examen obligatoire. »

Et en effet, Mme Dufaut, bravant les difficultés, a été reçue à l'unanimité du jury. Il lui reste encore à passer l’examen pratique avant de pouvoir lancer son cheval, Cocotte, sur le pavé parisien. 

Mais c’est d’abord la jalousie de ses congénères que la toute fraîche cochère doit affronter, comme le rapporte, non sans une pointe d’ironie, le conservateur Le Journal :  

« Cette demi-victoire, qui aurait dû réjouir toutes les apprenties cochères dans une même exaltation du féminisme, a excité le ressentiment des concurrentes malheureuses, et c'est sur un fâcheux  incident que la séance d'examen a pris fin. 

Cela promet plus d'une piquante aventure. »

« Pourquoi pas de femmes cochères ? Il y a des milliers d'années qu'elles conduisent les hommes ; pourquoi ne conduiraient-elles pas des chevaux ? », s’amuse pour sa part Le Journal amusant. 

Elles seront finalement deux femmes – dont la brillante Mme Dufaut – à faire leur apparition dans les rues de la capitale en février 1907, surmontant la grande sévérité des jurés du concours d’admission à l’égard de ces audacieuses prétendantes, comme le rapporte La Croix : 

« Les deux premières “femmes-cochers” ont été admises, hier, après avoir subi les épreuves requises, par le jury d’examen réuni à la préfecture de police. Elles étaient neuf qui briguaient l'honneur de conduire une voiture. Sept furent impitoyablement “recalées”. » 

Le baptême de ces pionnières est l’objet de toutes les curiosités. Le jour J, le 15 février 1907, des centaines de Parisiens se pressent à ce spectacle insolite. 

Et leur réaction est plutôt mitigée, comme nous l’apprend Le Matin :

« Nos cochères ont été ovationnées, acclamées et aussi sifflées. [...]

On a crié : “Vivent les femmes cochers !”

Nous avons entendu encore 

“Alors, c'est ton homme qui raccommodera les chaussettes ?”

“Qui fera bouillir la marmite ?” 

D'autres, toujours des cochers, ont clamé :

“Va donc, eh Louise Michel !”

Un vieil automédon [conducteur d'attelage], tristement, s'est exclamé 

“Bon, ça y est ! Les femmes sur le siège, nous, les hommes, nous v'là brûlés !” » 

Quelques mois plus tard cependant, cocorico de la part des journaux français :

« Paris fait des adeptes. Ce fut la première ville qui posséda des femmes cochères. Cet exemple est maintenant suivi un peu partout. » 

Beaucoup de cochères parisiennes abandonneront néanmoins leur nouveau métier, tant se faire accepter par les clients - un peu - et  par la corporation des cochers - surtout - relève du combat quotidien. D’autres persévèreront en dépit des difficultés.

Une autre courageuse, Mme Decourcelle, deviendra même la première femme taxi parisienne, en 1908.

 


Pour aller plus loin : Rennes Juliette, « Cochères parisiennes, le risque en spectacle », Travail, genre et sociétés, 2016/2 (n° 36), p. 37-59.