Lorsque la presse naissante commentait les méfaits des pirates
Bien avant que la littérature et le cinéma ne leur confèrent un statut quasiment mythique, la presse du XVIIIe siècle relaya souvent le récit des "exploits" des pirates.
Si les pirates du XVIIIe siècle ont abondamment inspiré les romanciers du XIXe siècle et les cinéastes du XXe et du XXIe siècles, le récit de leurs actes de cruauté a également fourni ample matière aux journaux qui leur étaient contemporains. Principal journal de l'époque, La Gazette rendait régulièrement compte d'actes de piraterie survenus sur toutes les mers du globe.
En 1722 déjà, on trouve dans ses colonnes les échos des combats livrés contre ces brigands par la marine anglaise en Atlantique. À noter que les navires pirates, bien moins armés que les vaisseaux militaires, étaient souvent en net désavantage lors des échauffourées avec ces derniers...
"On a reçu avis que la Cassandre, Vaisseau appartenant à la Compagnie des Indes, qui avait été pris il y a quelque temps par les Pirates, venait d'être repris par le Falkland, Vaisseau de guerre commandé par le Capitaine Harris, après un combat fort opiniâtre, dans lequel les Pirates avaient perdu plus de trois cent hommes de leur équipage, & les Anglais cent hommes ou environ. On a appris par les lettres arrivées cette semaine de divers Ports de ce Royaume, que le Weymouth, Vaisseau de guerre de cinquante pièces de canon, avait été pris sur la Côte de Guinée par deux Pirates, l'un de quarante, & l'autre de trente-huit canons : qu'ils avaient aussi enlevé un autre Navire qui revenait de la traite des Nègres, & qui était destiné pour la Jamaïque."
Autre exemple en 1735, avec ce récit d'une aventure digne des romans de Stevenson, survenue aux Antilles :
"On a appris que les soldats & les matelots du Vaisseau le Hatwell, s'étant révoltés, avaient tué leur Capitaine et s'étaient faits Pirates ; qu'après s'être emparés d'un Bâtiment Portugais, ils avaient fait voile vers l'Amérique ; qu'un Passager, qui était avec eux, ayant trouvé le moyen de sortir du Vaisseau sur la côte d'une des Antilles, où ils avaient été obligés de mouiller pour faire de l'eau, il avait découvert leur crime, & que six des plus coupables y avaient subi le supplice qu'ils avaient mérité."
Tout comme celle-ci, en 1779 :
"On apprend qu'un Bâtiment pirate Dulcignote [d'Ulcinj, ville de l'actuel Monténégro, ndlr], dans les eaux de l'Archipel, prenant pendant la nuit un Corsaire Anglais pour un Navire marchand, s'en était approché ; que le Capitaine Anglais ayant donné ses ordres, & recommandé le plus grand silence, l'avait laissé venir à l'abordage ; que le Pirate Dulcignote s'était jeté en désordre avec son monde sur le pont du Bâtiment qu'il croyait surprendre, & où il avait été reçu si vigoureusement qu'aucuns d'eux n'avait échappé à la mort, & que leur bâtiment avait été mis en pièces."
La vie réelle de ces flibustiers était bien moins romantique qu'au cinéma : la plupart vivaient dans la misère et voyaient souvent leur existence s'achever par un naufrage ou une exécution publique... En 1765, La Gazette raconte ainsi la pendaison, à Constantinople, d'un pirate qui sévissait en Méditerranée :
"Le Forban […] a été pendu à l'antenne de son Bâtiment vis-à-vis du Kiosk. Ce Chef de Pirates était Candiote [crétois, ndlr] de Nation. Après l'enlèvement du Vaisseau de guerre La Capitane qui fut conduit à Malte, enlèvement auquel, comme on l'a dit, il avait eu la principale part, il s'était retiré à Magna & exerçait la piraterie avec la cruauté la plus atroce, faisant égorger tous ceux qui avaient le malheur de tomber entre ses mains. L'équipage du bâtiment dont il s'était emparé aurait éprouvé le même sort s'il n'avait pas été délivré par le Chebec Turc au moment où le Pirate le faisait aborder à un écueil désert où il se proposait de le piller & l'égorger."