L'étrange affaire des démons de Loudun
Au XVIIe siècle, l'affaire des possédées de Loudun défraya la chronique. En 1825, dans les colonnes du "Globe", un savant tente de lui donner une explication.
Lorsque, dans le numéro du Globe daté du 30 avril 1825, le docteur Alexandre Bertrand, chroniqueur scientifique du journal et grand zélateur de la théorie du magnétisme animal, publie un article consacré à l'affaire des possédées de Loudun (dite aussi des « démons de Loudun »), celle-ci est déjà vieille de deux siècles. La nouveauté de l'article de Bertrand est qu'il tente de donner une explication psychiatrique à cet épisode historique.
Il commence par en résumer la teneur.
"Vers l’an 1632, deux jeunes religieuses d’une des communautés de la ville de Loudun ayant été atteintes de violentes convulsions accompagnées de symptômes bizarres, leur confesseur n’eut pas de peine à leur persuader que la cause de leurs maux était surnaturelle, et que les exorcismes étaient le seul moyen d’y porter remède. On les exorcisa donc ; on produisit sur elles l’extase, et le prêtre, dans cet état, leur ayant, suivant l’usage, adressé la parole, en s’exprimant comme s’il parlait au diable lui-même, elles répondirent en conséquence ; et les diables, parlant par leur bouche, déclarèrent qu'ils avaient été envoyés par un curé de la ville, appelé Urbain Grandier."
Urbain Grandier, le curé de Loudun (Vienne), était un « homme d'un esprit cultivé, d'un extérieur agréable, et plus porté à la galanterie qu'il n'aurait été convenable à sa profession », ce qui lui avait déjà valu un procès. Auteur en outre d'un violent pamphlet contre le cardinal de Richelieu, il s'était heurté à plusieurs reprises aux autorités et s'était fait de nombreux ennemis, à commencer par le chanoine Mignon, directeur de conscience de nombreuses religieuses du couvent d'Ursulines local.
En 1632, plusieurs d'entre elles se mettent à avoir des crises étranges : convulsions, insultes à Dieu, visions de fantômes. Une des sœurs, qui se dit possédée par le démon Astaroth, voit Urbain Grandier dans ses délires. Bientôt, le curé apparaît dans ceux de toutes les « possédées » : elles l'accusent d'obscénités, d'attitudes lascives, d'attouchements sexuels. La rumeur enfle : le prêtre aurait pactisé avec le Diable...
"Le mal ne resta pas renfermé dans la communauté ; plusieurs filles séculières de la ville tombèrent dans un état tout semblable à celui des religieuses, et furent également exorcisées. La contagion gagna même les villes voisines, le diable attaquant toujours uniquement les femmes, et parmi elles les jeunes filles de préférence. Cependant on continuait les exorcismes, auxquels on donnait la plus grande publicité ; toutes les possédées, sans exception, s’accordaient à accuser Grandier."
Grandier finit par être arrêté, interrogé et jugé. On produit des pactes avec le diable signés par l'accusé. Le 18 août 1834, il est brûlé vif. Dans son article, Legrand explique qu'on a souvent dit, par la suite, « que les religieuses ne faisaient que répéter en public une comédie qu’on leur avait fait étudier long temps d’avance » pour se débarrasser de Grandier. Mais pour lui, les crises des sœurs n'avaient rien de feint.
"Si, au lieu de s’obstiner à vouloir regarder, contre toute vraisemblance, les religieuses comme de mauvaise foi, on consent à ne voir en elles que des filles malades, et s’abusant elles-mêmes sur leur propre état, tout s’explique, tout devient facile à comprendre. Le grand nombre des possédées n’a plus rien qui doive surprendre, puisque l’état d'extase est, comme les affections convulsives avec lesquelles il a d’ailleurs tant de rapports, contagieux par imitation ; ce qui fait qu’on l’a presque toujours vu paraître comme par épidémie."
La cause, d'après Bertrand, est donc à rechercher dans « l'état d'extase », que le savant s'emploie à décrire comme « un état particulier qui n’est ni la veille, ni le sommeil, ni une maladie ; état naturel à l’homme en ce sens qu’on le voit constamment apparaître, toujours identique au fond, dans certaines circonstances données : c’est pour moi le type de l’état des prophètes, des inspirés, des saints mystiques, des convulsionnaires, des possédés de tous les siècles et de tous les pays », et résultat de « l'exaltation morale portée à un haut degré ».
L'affaire des démons de Loudun, par son caractère spectaculaire et son issue tragique, suscita d'innombrables interprétations au cours des siècles. Aldous Huxley lui consacra un récit en 1952, Les Diables de Loudun, et Ken Russell un film en 1971, Les Diables.