L’affaire Damotte-San Malato, un duel pour l’honneur
Le 28 janvier 1901, Athos de San Malato, maître d’armes italien, et Damotte, maître d’armes français, s’affrontent au fleuret dans un seul but : la préservation de leur honneur.
« Pour un point d’honneur, pour un simple point d’honneur, deux hommes, qui ne se connaissaient pas même de vue cinq minutes avant de croiser le fer, ont failli s’entretuer, littéralement. »
Voici ce que rapporte, médusé, un rédacteur de L’Écho de Paris le 29 janvier 1901, au lendemain du duel qui vient de faire trembler le Tout-Paris.
Athos de San Malato, fils d’un célèbre escrimeur italien et de passage à Paris, vient de lancer un défi à tous les escrimeurs français afin de démontrer la prétendue supériorité de l’école du fleuret italienne sur l’école française.
Selon le journal La Presse, le défi est le suivant :
« “On se battra au fleuret, à la pointe d’arrêt.”
C’est-à-dire qu’une fine pointe du fleuret, un demi-centimètre de fer, [peut] pénétrer dans la chair et faire jaillir le sang, mais sans aucun autre danger. »
Se présente alors à lui Louis Damotte, grand maître d’armes français, lequel ne s’est encore jamais battu en duel mais qui toutefois, se dit prêt à relever le défi. Très vite, un différend à propos des conditions du duel éclate entre les deux hommes. Ces derniers échangent des lettres pleines de provocation que les journalistes ne manquent pas de relayer aussitôt, notamment dans Le Figaro.
À la suite de cette algarade, les adversaires revendiquent tous deux la qualité « d’offensé ». On fait appel à un arbitre, M. de La Frémoire, qui décide finalement que le plus offensé des deux est indiscutablement M. Damotte, le Français.
Lorsque tous les témoins et arbitres sont trouvés, le duel, qui devait à l’origine se dérouler en dehors de Paris, au vélodrome du Parc des Princes, est remis à la date du lundi 28 janvier ; les paris sont ouverts.
Le jour du duel, au moins deux cents personnes se sont réunies pour assister à cette rencontre exceptionnelle. Pour immortaliser l’événement, de nombreux photographes sont dépêchés. L’un d’eux a même apporté un appareil cinématographique, fait rare à cette époque.
Les deux adversaires font leur apparition, suivis de leurs témoins et de leurs médecins respectifs. Ils examinent le terrain où ils s’apprêtent à s’affronter : un champ clos de trente mètres de longueur, délimité par des piquets et des cordes. Mais, tandis que l’on se prépare pour le duel, une discussion s’élève à propos des épées de M. de San Malato – lesquelles ne seraient « pas complètement convexes ».
L’escrimeur italien déclare alors qu’il se battra avec l’une des épées de Damotte, ce à quoi s’opposent les témoins des deux parties. M. Damotte, de son côté, accepte que San Malato utilise ses propres épées. Puis, au moment de flamber les épées, on s’aperçoit que celles de M. de San Malato sont un centimètre plus courtes que celles de M. Damotte. On lime les armes de Damotte.
À trois heures trente-cinq de l’après-midi, après une heure d’attente et alors qu’il pleut à torrent, les deux maîtres d’armes sont enfin prêts à s’affronter.
Au son du traditionnel « Allez, Messieurs ! » prononcé par l’arbitre, les deux hommes se saluent de leurs épées et les premières attaques se font jour. Le combat est interrompu au bout de cinquante-cinq secondes – l’une des deux épées s’est « faussée » et nécessite d’être remplacée.
Puis le combat reprend, cette fois-ci pour vingt-et-une secondes – la pointe de Damotte a « touché ». On lui apporte une nouvelle épée.
Lors de la troisième passe, les deux escrimeurs, passablement énervés par cette succession d’incidents, s’attaquent très vivement. La Presse conte l’événement :
« Les épées sont engagées jusqu’à la garde. L’émotion est à son comble ; tout à coup Athos de San Malato se fend, son épée passe sous le bras de Damotte qui pare, riposte à la poitrine mais passe, toutefois.
Sa parade a ramené l’épée de son adversaire au moment où elle filait sous son bras et la pointe se loge sous l’aisselle. Ses témoins l’entraînent aussitôt. C’est fini. »
Tandis que le professeur Damotte se fait soigner dans une cabine à l’écart par les docteurs Aumont et Zubiéra, le public, anxieux, retient son souffle. Tous croient en effet que l’épée est entrée profondément dans les chairs de l’escrimeur.
L’envoyé spécial du Journal rapporte la rencontre avec emphase :
« Un duel sous la pluie ! Mais ce fut chaud tout de même, je vous prie de le croire, et tous les spectateurs furent heureux d’apprendre que la blessure reçue par M. Damotte près de l’aisselle n’était pas grave, le coup étant venu un peu en biais. »
En effet, « dans l’assistance, on pousse des soupirs de soulagement ; le tournoi prenait vraiment une allure tragique ; à plusieurs reprises on craignait de voir l’un des deux combattants transpercer l’autre », relate encore le rédacteur de L’Écho de Paris, ajoutant que la plus rassurée de tous est certainement l’épouse de M. Damotte qui attend, en larmes, l’issue de ce rocambolesque duel.
M. de San Malato sort vainqueur de ce combat franco-italien au sommet. Beau joueur, il propose tout de même de se réconcilier avec son confrère français, qui l’accepte doctement.
L’affaire se conclut par une poignée de main virile, suivie d’une accolade ; l’honneur des participants – et des deux peuples – est enfin sauf.