Évocation de « troubles » dans la colonie de Saint-Pierre de la Martinique dans La Gazette de France, 1790
Il y a le soulèvement coordonné, organisé, sur plusieurs habitations, voire sur toute une province, qui s'installe dans la durée et évolue vers une forme mixte, qui tient de la communauté marron – appelée quilombo au Brésil –, et de la zone « libérée » organisée en contre-société. Telle est le cas de l'insurrection des esclaves qui secoua la Plaine du Nord de Saint-Domingue dans la nuit du 22 au 23 août 1791.
Aussi fortes et structurées que soient ces révoltes serviles, elles ne parviennent pas à formuler un affranchissement autre que conditionnel, et à déboucher sur autre chose qu'une négociation aves les autorités coloniales. Les chefs marrons (et cela vaut pour les meneurs des insurgés de Saint-Domingue) négocient des « libertés » partielles, et non une liberté générale. Les ateliers se soulèvent pour obtenir trois jours de liberté par semaine, là encore partielle, et non pour la fin du système esclavagiste.
Compromis fragiles et localisés dans un cas, loi isolée et de portée limitée dans un autre cas, ces deux voies parallèles de l'abolitionnisme ne se rejoignent pas avant 1793. Pour arriver à l'abolitionnisme révolutionnaire, une liberté générale, immédiate, et inconditionnelle, telle qu'elle est déclarée par le décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794), il faut un contexte bouleversé par la guerre, sans laquelle l'économie coloniale des Antilles ne se serait pas effondrée.
Alors, les révoltes généralisées convergent vers une forme d'insurrection globale, qui ne trouve d'issue que dans la loi. Le législateur puise alors, pour mieux asseoir sa position, la force nécessaire à la mise en œuvre des principes doctrinaux qui inspirent son action. En proclamant la liberté générale, il légitime du même coup une insurrection, en l'absence de laquelle il n'aurait pas trouvé le moyen de franchir une étape inédite.
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Bernard Gainot est historien, maître de conférence en histoire moderne à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne. Il est notamment l’auteur de Les Officiers de couleur dans les armées de la République et de l’Empire (1792-1815), paru aux éditions Karthala.