Paul Peyrusson et son plongeon de la mort
Au début du XXe siècle, on invente de folles attractions pour séduire le public. Ainsi le plongeur professionnel Paul Peyrusson devient une star, créateur d’improbables défis.
Lorsque ce 15 août 1909, Paul Peyrusson escalade le plongeoir installé au pont de Puteaux, ce n’est pas un inconnu.
Nageur émérite (il a participé aux J.O. de 1900), il est devenu un plongeur exceptionnel, enchaînant les compétitions depuis plusieurs années. En 1908, il devient même le recordman mondial de la discipline en exécutant un plongeon de 31,48 mètres, hissé sur une chèvre (!) installée au bord de la Marne à Joinville-le-Pont.
Aujourd’hui, lors du 7e meeting international de natation, il s’est fixé un nouveau défi. Et il n’est pas seul. À ses côtés se tient Mme Garnier (les femmes voient alors rarement figurer leur prénom dans les journaux), nageuse expérimentée elle aussi. La foule se presse, l’événement a été de nombreuses fois annoncé.
« En dehors de ces courses splendides, en dehors du match international de waterpolo, nous aurons une attraction sensationnelle ! Le Saut de la Mort, un plongeon fantastique, exécuté de 20 mètres de hauteur en tandem par le champion du monde Peyrusson et une gracieuse et jolie nageuse, Mme Garnier.
Ce saut sera des plus périlleux, car ceux qui en seront les héros ne quitteront leur tandem que lorsqu'ils seront arrivés au tiers du précipice.
L'impression promet d'être terrifiante pour les spectateurs qui, jamais, n'auront vu un plongeon aussi prodigieux ! On se demande si, réellement, un pareil haut-fait est possible ! »
Le « saut de la mort », en tandem qui plus est, voilà qui fait vibrer les foules. Les journaux en rajoutent pour exciter la curiosité de leur lectorat.
« L’annonce du terrifiant “saut de la mort” en tandem, par Paul Peyrusson et la gracieuse Mme Garnier, a produit le meilleur effet dans tous les centres où l'on s'intéresse aux gros évents nautiques.
Il faut, en effet, déjà, une audace peu ordinaire pour plonger de 20 mètres de hauteur, mais pour exécuter un plongeon en tandem, il est indispensable d'être doué d'un courage extraordinaire.
Or ceux qui connaissent Paul Peyrusson, ceux qui ont su apprécier la vaillance de ce gars solide, à la volonté inébranlable, sont persuadés qu'il saura exécuter dans la perfection cet exercice aussi périlleux.
C'est d’ailleurs pour ces motifs que la gracieuse Mme Garnier a osé accepter de frôler la mort en compagnie de Peyrusson. »
Lorsque le silence se fait, Peyrusson et « Mme Garnier » s’élancent en pédalent sur leur bicyclette jusqu’au bout du tremplin. Instant d’émotion au moment où l’engin bascule dans le vide.
« C’est ainsi que les spectateurs applaudirent à tout rompre Peyrusson et Mme Garnier, qui, en tandem, exécutèrent, de 20 mètres de haut, un plongeon fantastique !
Si le nageur et la nageuse s'en tirèrent sains et saufs, il n'en fut pas de même de la machine. En effet, Mme Garnier, n'ayant pu se dégager à temps, plongea avec le tandem sous elle. Le choc sur le fond du fleuve le brisa net. »
Paul Peyrusson réitèrera plusieurs fois son « saut de la mort » seul ou accompagné dans des meetings ou des événements sportifs, faisant ainsi de ces exploits une nouvelle carrière.
En 1911, il invente le « tourbillon humain », puis en 1914, il innove encore pour le Nouveau-Cirque qui l’emploie avec la « comète humaine », où il plonge environné de flammes.
L’athlète ne se contente pas d’attractions et se met aussi au service de la sûreté maritime en testant régulièrement de nouveaux dispositifs de sécurité.
« Cet après-midi ont eu lieu en Seine, au pont Alexandre III, des essais de ceinture de sauvetage effectués par Peyrusson, sa fillette, Mmes Nort et Wurtz, en présence des principaux intéressés : MM. Joltrain, directeur des services de la circulation ; Gérard, chef de la brigade fluviale ; Ledoux, inspecteur de navigation ; de nombreux représentants de journaux, photographes, opérateurs de cinéma. »
En 1914, Paul Peyrusson est contraint, comme les autres, de partir au front. En 1916, il participe à la bataille de Verdun. Pendant un temps, les journaux sont sans nouvelles de lui et espèrent qu’il ne soit que prisonnier. Puis on apprend qu’il est blessé, sans connaître la gravité de son état.
Enfin, le 7 octobre 1916, la nouvelle de sa mort tombe, en même temps que celle du coureur de fond Jean Bouin. Le ton administratif de la nouvelle ne la rend que plus brutale.
« Le célèbre nageur Paul Peyrusson, champion et recordman du monde professionnel de plongeons, a été tué à l’ennemi devant la Meuse.
Peyrusson, une des physionomies les plus sympathiques et les plus connues dans le monde des nageurs, était de toutes les grandes fêtes nautiques, exécutant avec une adresse et un courage extraordinaires son fameux “plongeon de la mort”.
C’était un athlète de valeur et un modeste. Il est mort glorieusement pour la patrie. »