Chronique

Janvier 1789, la Révolution a-t-elle commencé à Rennes ?

le 18/01/2021 par Jean-Clément Martin
le 03/05/2019 par Jean-Clément Martin - modifié le 18/01/2021
L'émeute du 26 janvier 1789 sur la place du Palais à Rennes, dessin satirique - source : musée de Bretagne

Janvier 1789, à Rennes, une rixe oppose nobles et jeunes « patriotes » du tiers état. Malgré les appels et les volontés du roi publiés dans La Gazette, la « journée des bricoles » révèle les oppositions croissantes avant la tenue des états généraux et la désagrégation palpable du pouvoir monarchique, impuissant à réconcilier les acteurs.

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La tradition qui veut que la Révolution ait commencé le 21 juillet 1788 à Vizille est bien ancrée. Elle a d’autant plus de supporters que cette journée a rassemblé les trois ordres à l’initiative de « révolutionnaires » modérés, partisans en définitive des réformes et défenseurs de la monarchie parlementaire.

On oublie alors davantage les journées de janvier 1789 à Rennes, quand deux nobles et un roturier meurent au cours d’un affrontement entre jeunes nobles et jeunes « patriotes » pendant la réunion des États de Bretagne statuant sur les modalités des élections aux États généraux.

Les nobles bretons refusent l’arrangement de Vizille où la noblesse locale a accepté le doublement des députés du Tiers État. Ils s’étaient déjà soulevés contre le roi qui avait voulu réduire le rôle du parlement. Le 8 juin 1788, l’émeute avait été évitée de justesse. En juillet 1788, douze nobles contestataires avaient été envoyés à la Bastille ! N’y voyons pas de futurs révolutionnaires !

Les « patriotes » en revanche soutiennent la décision royale même s’ils attendent des mesures plus radicales à commencer par les réductions des impôts qui pèsent sur les roturiers et une refonte des institutions bretonnes, administrations locales comprises.

« Le Roi informé du refus que font les Députés du Tiers-état de sa province de Bretagne, de délibérer sur aucune affaire, & notamment sur une grande partie des demandes de Sa Majesté, en se fondant sur les restrictions apportées dans le cahier de leurs charges, Sa Majesté auroit pu, dans sa justice, casser les délibérations des villes qui se sont permis de lier ainsi, contre les loix & les usages de la Bretagne, le vœu de leurs députés ; mais Sa Majesté étant instruite de l’esprit de dissention qui règne dans la province […] a pris la résolution de suspendre la séance des États jusqu’au 3 Février. »

La convocation des États généraux soulève une tempête qui n’a pas été prévue par le roi et son ministre Necker. Ceux-ci ont échoué depuis plusieurs années à trouver d’autres solutions pour résoudre la crise financière dans laquelle le royaume est plongé.

Ils ouvrent la boîte de Pandore en voulant réunir des députés désignés selon des règles uniformes dans un pays divisé depuis des siècles en provinces régies par des coutumes disparates, dépendantes du pouvoir royal au gré de rattachements négociés, soucieuses de conserver des privilèges collectifs, au-delà des avantages octroyés partout aux ordres du clergé et de la noblesse.

En janvier 1789, le roi doit ainsi essayer de conjurer la résistance de la noblesse aux réformes et les réclamations exactement contradictoires des roturiers des villes.

« Sa Majesté invite particulièrement son Parlement de Rennes à concourir, par ses soins, à remettre la paix dans la province de Bretagne, & à se servir, pour concilier les esprits, de la juste déférence dûe à des Magistrats intègres, amis du bien & fidèles serviteurs du Roi. Sa Majesté espère que tant de soins, tant d’inquiétudes de sa part pour rétablir l’ordre, & ramener ses Sujets de Bretagne à un esprit d’union, obtiendront enfin un heureux succès. »

L’appel au calme ne convaincra ni les uns ni les autres, les jeunes des deux camps se révélant déterminés à l’affrontement. Or la rixe du 27 janvier a opposé des groupes plus disparates qu’on ne pouvait attendre, annonçant la complexité des luttes politiques qui vont diviser tout l’Ouest français jusque dans les années 1820.

« Le Roi, par des instructions que la sagesse lui a inspirées, n’a rien négligé pour calmer l’agitation qui s’est manifestée dès l’ouverture des États de Bretagne […]. Le Roi, au milieu des justes alarmes que ces événemens (sic) ont fait naître, n’a pu rassembler les États le 3 Février, ainsi qu’il se l’étoit proposé, & tous les Ordres de la province ont paru rendre hommage à la prudence de cette mesure. […]

Sa Majesté a donc considéré attentivement ce qu’Elle devoit & ce qu’Elle pouvoit faire dans la circonstance extraordinaire é critique où se trouve la Bretagne, les divisions, les ressentimens (sic) qui subsistent dans cette Province, les mêmes qui ont obligé sa Majesté à séparer les États, ne permettent pas de les rassembler […]

Le Roi ayant éprouvé tant de fois le dévouement, le zèle & la fidélité de sa Noblesse de Bretagne, attend d’elle, en cette occasion, une juste déférence aux dispositions que le moment présent à rendues nécessaires ».

Si d’un côté, il y a bien les « jeunes gens », « patriotes » de Rennes, bourgeois, étudiants de la Faculté, futurs révolutionnaires et officiers de l’Empire ; de l’autre, se trouvent d’abord des jeunes représentants de la noblesse ancienne de la Bretagne (de Nantes à Brest), certains revenus d’Amérique où ils ont combattu sous les ordres de La Fayette et qui seront trois ou quatre ans plus tard des chefs chouans, mais aussi le petit prolétariat urbain, des portefaix, qui se rangent avec eux contre les Messieurs, rappelant là aussi la participation du peuple des campagnes aux futurs grands mouvements contre-révolutionnaires.

 

Jean-Clément Martin est historien professeur honoraire Université Paris 1, et ancien directeur de l'Institut d'Histoire de la Révolution Française.