27 avril 1905, le journal conservateur Le Matin prend parti contre Theodore Haviland, directeur d'une porcelainerie à Limoges pour avoir soutenu un contremaître impliqué dans une affaire d'abus sexuel.
En partenariat avec « La Fabrique de l'Histoire » sur France Culture
Cette semaine : Le Matin, 27 avril 1905.
En avril 1905 a lieu à Limoges une grève qui a pour origine le harcèlement sexuel exercé par un contremaître. La révolte est telle que la presse ira jusqu’à parler de « guerre civile ».
« L'ORGUEIL HOMICIDE
En ce temps-ci, il faut avoir le courage de dire toute la vérité, surtout à ceux qui, par fonction, ont la garde et la responsabilité des grands intérêts sociaux. Au moment où tous les droits acquis sont menacés par l'assaut révolutionnaire, quiconque en détient une parcelle n'a pas une faute à commettre, par un tort à se donner.
Nous rappelions naguère nos amis catholiques à ces vertus de l'Evangile dont une longue habitude du Concordat avait, chez beaucoup d'entre eux, oblitéré la notion. Il nous faut, à présent que le calme est rétabli, tirer la moralité des événements de Limoges.
Comment ne pas avouer que l'entêtement et l'orgueil patronaux ont donné, sinon une justification, du moins un prétexte aux violences criminelles dont la répression a été si terrible ?
Aucune question de salaire n'a motivé la grève générale. L'intérêt supérieur d'une industrie nationale n'était pas en jeu.
Les délégués ouvriers ont déclaré, devant le juge de paix, qu'ils reconnaissaient, sans aucune réserve, l'autorité légitime du patron sur son personnel et son droit d'être le maître chez lui.
Ainsi, la cause se trouvait dégagée de toute question d'intérêt matériel et de principe hiérarchique.
Que restait-il donc ? Des griefs de nature spéciale et délicate contre un contremaître ; griefs que le patron, M. Haviland, par un orgueil déplacé, s'est refusé d'abord à admettre, même à entendre.
Pour qu'il se décidât à en tenir compte, il a failli que des boutiques fussent pillées, des barricades élevées dans les rues, l'assaut donné à une prison, près de deux cents soldats écharpés. il a fallu enfin que les fusils Lebel partissent tout seuls, et qu'un malheureux enfant tombât mort au milieu de ses camarades dangereusement blessés.
Qui pourtant oserait faire un crime aux ouvriers de la fabrique Haviland d'avoir protesté avec indignation contre la violation des droits les plus sacrés de la famille et de l'individu ?
Les émeutes de Limoges ressemblent, par leur origine, aux premières révolutions romaines. N’est-il pas honorable pour les manufactures de cette ville qu'on y ait trouvé des Lucrèce et des Virginies ? N'est-il pas honteux, par contre, qu'on y retrouve aussi, dans le personnel des contremaîtres, les vices des Tarquin et des Claudius ? Fallait-il que tout le patronat se solidarisât pour couvrir de son autorité la résurrection des mœurs légendaires attribuées aux seigneurs féodaux ?
Ne convient-il pas d'encourager dans le peuple le sentiment de l'honneur personnel, de la dignité humaine, qui repousse, comme une flétrissure d'esclavage, l'obligation de livrer au chef la chair des femmes et des filles ? Est-ce que ce droit fait partie de l'autorité patronale dont M. Haviland s'est montré si jaloux, et l'avait-il délégué à son contremaître ? [...]
Or la plainte des ouvriers ne manquait pas de raison, puisque, devant la juge de paix, on y a fait droit, trop tard. Car alors la ville avait été mise à feu et à sang, l'armée contrainte de faire usage de ses armes contre des citoyens français. [...]
Tous ces crimes retombent sur l'auteur de la première faute, sur le patron entêté et orgueilleux, et sur ses collègues qui, par un faux point d'honneur, par une déviation coupable de l'idée d'autorité, ont uni leur résistance à la sienne.
[...] M. Haviland et les patrons qui se sont associés à lui ont si bien fait que la responsabilité initiale des abominables désordres de Limoges retombe sur eux, et que le rétablissement de l'ordre a ressemblé à une défaite patronale.
Que ce triste exemple serve de leçon aux autres.
Dans les revendications ouvrières, il y a un mélange de justice et de violence, de droits humains et d'instincts sauvages. Il appartient aux bons patrons de distinguer les uns des autres, et de retirer toute cause l'légitime à la guerre sociale.
Les mauvais patrons, infatués d'une autorité dont ils abusent, servent plus efficacement la cause de la révolution que les pires meneurs.
Henri de Houx. »
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Pour en savoir plus :
Marie-Victoire Louis, Chapitre X. « La grève de Limoges contre le droit de cuissage, Avril 1905 », Le droit de cuissage, France, 1860-1930, Éditions de l'Atelier