Les aliénés mentaux, grands oubliés de la guerre de 1914
« Honneur aux poilus, ils nous ont fait cette victoire ». Le 11 novembre 1918, Georges Clemenceau rend hommage aux soldats de la Première Guerre mondiale.
À côté de ces héros de la « grande guerre », il y a ceux devant lesquels on détourne les yeux : les blessés sans blessures, les soldats que la guerre a rendus fous, qu’on appellera plus tard les « psycho-névrosés » ou « névrosés traumatiques ».
Ils sont nombreux : immédiatement après la fin de la guerre, on note une hausse sensible des admissions dans les asiles d'aliénés. Des centaines de milliers d'hommes sont touchés, mais seuls les cas les plus graves sont internés : « environ 14 000 », peut-on alors lire dans la presse.
En 1925, le directeur de l’Écho des mutilés dresse le sombre tableau de la situation des « aliénés de guerre » en France : laissés pour compte, mal soignés par un corps médical désemparé face à ces troubles d'un genre inconnu.
« Au lieu de prendre la défense de l'invalide, on l'accable. Il est aliéné, il ne compte plus. Il n'a plus de droits, il n'a plus rien. Il est en marge de la société et la patrie le met en marge de sa reconnaissance.
Il est vrai que dans certains cas graves, le malheureux ne se rend plus compte de sa situation exacte. Interné, il ne vote pas, dès lors pourquoi lui réserver quelques égards, pourquoi le traîter en homme ? N'est-il pas plus simple de le jeter par-dessus bord comme un indésirable et de le laisser mourir comme un chien enragé. Je n'hésite pas à dire qu'il est impossible qu'une telle situation se prolonge car elle déshonore les groupements des victimes de la guerre. Les aliénés de guerre sont des soldats comme les autres qui, pas plus que les autres, n'ont eu la possibilité de choisir leur infirmité. Que leur reproche-t-on ?
Il faut que les aliénés de guerre soient mis à part. Il faut qu'ils soient groupés dans les quartiers des asiles ; qu'ils soient l'objet des égards auxquels ont droit les victimes de la guerre. Il est inadmissible et intolérable qu'un mutilé de guerre puisse être brutalisé, vêtu de loques et affamé. »
Il faut encore des années pour que l’État se décide enfin à ouvrir les yeux sur cette situation intenable et à donner un semblant d'existence et de statut aux anciens combattants aliénés. Treize ans après la fin de la guerre, un congrès se réunit pour élaborer une charte au sujet des « mutilés du cerveau ».
En juin 1931, l'envoyé spécial du quotidien Le Matin rapporte :
« Après avoir consacré toute une journée et une partie de la nuit à l'élaboration d'une charte à octroyer aux mutilés du cerveau, les congressistes se devaient d'accomplir à Cadillac une pieuse visite à l'asile où trois cent trente de ces victimes de la guerre vivent la lamentable vie d'êtres bien portants, mais privés des lumières de l'intelligence. La cérémonie fut émouvante, pénible. Dix mutilés du cerveau, au garde-à-vous, reçurent du colonel Morbleu la croix du combattant. Les tambours et clairons battirent et sonnèrent aux champs, les assistants se découvrirent. [...]
La commission médicale a notamment demandé l'augmentation du personnel médical des asiles, la création d'un cadre d'infirmiers majors spécialisés, la création de centres départementaux de malariathérapie et d'asiles régionaux spécialisés pour les tuberculeux, l'institution de colonies familiales pour la réadaptation à la vie sociale et l'observation stricte du secret médical. »