1894 : le capitaine Dreyfus condamné au bagne à perpétuité
Le 22 décembre 1894, le capitaine Dreyfus est condamné à la déportation à perpétuité. La presse est unanime pour accabler le « traître » et dénoncer la clémence de la décision. L'antisémitisme atteint des sommets.
Octobre 1894. Dans un contexte d'antisémitisme virulent, le capitaine Dreyfus, un officier d’origine alsacienne et de confession juive, est arrêté à Paris sur ordre du ministre de la Guerre. Accusé d’avoir transmis des documents secrets à l’Allemagne, il est jugé à huis-clos devant le conseil de guerre en décembre. La défaite prussienne de 1870 est alors encore dans toutes les mémoires, et l'esprit de revanche demeure intact en France.
Le 22 décembre, malgré des preuves quasi-inexistantes, Alfred Dreyfus est condamné à l'unanimité des sept juges au bagne à perpétuité, ainsi qu'à la destitution de son grade et à la dégradation militaire. Il échappe à la peine de mort, celle-ci ayant été abolie pour les crimes politiques en 1848.
À droite comme à gauche, chez les conservateurs comme les républicains, la culpabilité de Dreyfus ne fait aucun doute. L'antisémitisme culmine dans la presse.
« Le traître », titre à la une le journal républicain La Justice, le 25 décembre 1894. Clemenceau lui-même y signe un réquisitoire qui accable Dreyfus et s’insurge contre la clémence de la sanction (4 ans plus tard, il deviendra un ardent défenseur de l’innocence du capitaine) :
« Comment se trouve-t-il un homme pour un tel acte ?
Comment un être humain peut-il se faire si déshonoré, qu'il ne puisse attendre qu'un crachat de dégoût de ceux-là mêmes qu'il a servis. Il n'a donc pas de parent, pas de femme, pas d'enfant, pas d'amour de quelque chose, pas de lien d'humanité, ou d'animalité même, car la bête en troupeau, d'instinct, défend les siens, rien qu'une âme immonde, un cœur abject. [...]
Je souhaite assurément que la peine de mort disparaisse de nos Codes. Mais qui ne comprend que le Code militaire en sera de toute nécessité le dernier asile ? [...] si dans l'échelle des châtiments, la peine de mort est l'ultime degré, il me semble qu'elle doit être réservée pour le plus grand crime qu’est, à n'en pas douter, la trahison. Tuer un malheureux affolé qui insulte ses juges, c'est démence, quand on fait une vie tranquille au traître. »
L’Intransigeant n’est pas moins dur contre Dreyfus. Henri Rochefort, son fondateur et rédacteur en chef, prend lui aussi la plume pour déplorer que la peine de mort n’ait pas été prononcée et dénoncer l’influence de l’Allemagne sur la décision de la justice française :
« Nous sommes encore en 1871, en plein état de siège, lorsque le Prussien occupait une partie du pays. Et nous délivrait des passeports. L’Allemagne nous dicte l’ordre et la marche de nos instructions non pas seulement diplomatiques, mais judiciaires [...].
Et tandis qu’on assassine de simples soldats pour manquement à la discipline, les officiers traîtres ont la vie sauve. Car on ne peut nier que Dreyfus fût à la solde de l’Allemagne, puisque c’est pour ce crime qu’il vient d’être condamné. Or, celle-ci a tout intérêt à soustraire au peloton d’exécution l’homme qui lui a rendu et peut sans doute lui rendre encore d’inappréciables services... Elle a donc ordonné et on a obéi. »
Quant à Jean Jaurès (qui deviendra, comme Clemenceau, un dreyfusard tardif), il signe un papier assassin dans Le Petit Troyen :
« La vérité, c’est que si on ne l'a pas condamné à mort c’est parce que l’immense effort juif n’a pas été tout à fait stérile, c’est aussi parce que des circonstances spéciales ayant imposé le huis-clos, on n’a pas cru pouvoir frapper à mort après un débat secret. »
Le capitaine Dreyfus sera transféré dans l’île du Diable au large de Cayenne le 12 mars 1895. Il faudra attendre Zola et son puissant « J’accuse », en 1898, pour que l’unanimité se fissure.