Révolution à la plage : les baigneurs se déshabillent
Au cours des années 1920, l’afflux massif de vacanciers et leur propension à se dénuder sans gêne provoquent le dégoût de nombre de commentateurs.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, au cours des fameuses Années folles, les mœurs et usages évoluent radicalement par rapport au siècle précédent. Après les horreurs de la guerre, les Français ont envie de faire la fête, de profiter pleinement de la vie, et les codes traditionnels s’en trouvent bouleversés. C’est à cette époque que se développe le tourisme balnéaire.
Auparavant, on se rendait dans les stations balnéaires des côtes françaises dans un but thérapeutique. Il s’agissait alors d’un loisir principalement réservé à l’élite consistant à se remplir pleinement les poumons d’air salin et à se tremper quelques instants dans l’eau de mer qui avait, disait-on, la vertu de « soigner tous les maux ».
Mais à partir des années 1920, les plages françaises commencent à accueillir une foule nouvelle de touristes et de vacanciers venus profiter de la saison estivale pour s’y délasser. Aller à la plage devient alors une véritable mode et une attraction touristique. Dès lors, ceux qui peuvent s’offrir quelques semaines de vacances – les congés payés n’existent pas encore – profitent du chemin de fer pour se rendre en quelques heures dans les « villes d’eaux ».
Dans le même temps, le costume de bain qui couvrait auparavant le baigneur du col aux genoux s’allège et se rétrécit pour s’adapter aux nouvelles pratiques balnéaires plus sportives, comme la nage et les jeux de plage. Ces nouveaux maillots de bain, très échancrés par rapport à ceux du siècle précédent, sont aussi plus moulants, afin de faciliter les mouvements des baigneurs mais aussi pour favoriser les bains de soleil.
Toutefois, ces nouvelles pratiques balnéaires propices à la dénudation entraînent vite les plus vives réactions.
Le journal La Croix rapporte ainsi, au mois d’août 1928 :
« Étendus sur le sable, aussi peu vêtus que le permettent les municipalités, inégalement tolérantes à ce sujet, des gens lézardent au soleil, rituellement, exposant aux rayons la plus grande surface possible de leur peau.
Le comique de la situation en pallie plus ou moins l’indécence. »
À cette époque, en effet, c’est à chaque municipalité de veiller au respect de la pudeur et à la décence sur les plages. Ainsi, des arrêtés municipaux réglementant le port du costume de bain, le déshabillage à la plage, le port du peignoir et les conditions des bains de soleil sont placardés sur les façades des mairies et sur des écriteaux à l’entrée des plages.
Néanmoins certaines plages, plus tolérantes, attirent les vacanciers désireux d’exposer leur anatomie au soleil. C’est le cas de celle de Juan-les-Pins à en croire un rédacteur de Paris-Soir en 1928 :
« À Juan-les-Pins, il y a une plage, une seule. Et c’est une fourmilière humaine. Les corps s’y roulent côte à côte, animés d’un seul désir : brunir. […]
Pour y parvenir, ils se livrent à la caresse solaire aussi nus que possible, pour ne pas dire complètement. »
Cet engouement pour la peau hâlée ne manque pas de faire également réagir une rédactrice du journal La Femme de France, inquiète pour ces « épidermes grillés par les durs rayons de Phébus à son apogée ». On voyait, ajoute-t-elle « sur les plages du Midi, des familles entières changées en tribus de Sioux ou de Botocudos. »
Mais ce qui semble davantage déranger, ce sont ces nouveaux comportements de plage, mettant en scène des corps libres et décomplexés. Une décontraction des mœurs qui n’est pas du goût de tout le monde. Comme le rapporte le journal L’Ouest-Éclair en 1929 :
« Les premières femmes qui se baignèrent en maillot, il y a quelques années, causèrent du scandale, et cependant quels maillots ! Longs, larges à souhait, peu décolletés, enfin, de vrais maillots encore décents ; peu à peu, ceux-ci se sont amplement échancrés, puis raccourcis.
Enfin, à l’heure actuelle, au moins sur certaines plages, ils sont réduits à leur plus simple expression, laissant pour la femme le dos entièrement nu, pour l’homme tout le torse. De plus, durant la cure de soleil, les femmes laissent tomber les épaulettes et maintiennent à deux mains le maillot, qui ne cèle plus rien de ce qu’il devrait celer. »
Certains journalistes n’hésitent pas à blâmer ouvertement les baigneurs sur des critères purement esthétiques. Ainsi, pour ce rédacteur du journal Paris-Soir, en 1929, la plage est devenue « une exposition de chairs plus souvent pendantes que fermes ».
« Je ne sais si vous avez déjà vu de ces parcs où l’on réunit les bestiaux en grand nombre avant de les envoyer à la boucherie ; mais l’effet ressenti devant une plage moderne est analogue.
Avec une différence toutefois : les parcs à bestiaux sont moins écœurants à contempler, car les animaux exhibent moins souvent que les hommes des membres débiles et un ventre retombant. »
Dans certains cas, des agents de police sont sommés d’intervenir sur les plages, pour outrage aux bonnes mœurs. C’est ainsi qu’en août 1928, un article dans Le Journal a pour titre « Jusqu’où peut-on descendre son maillot de bain sans risquer des poursuites judiciaires ? ».
Et l’article de relater la mésaventure d’un distingué musicien du casino de Deauville s’étant vu dresser un procès-verbal en vertu d’une tenue de plage jugée indécente.
« L’homme a reçu une citation à comparaître devant le tribunal de simple police de Deauville, pour une tenue indécente sur la plage, consistant dans l’acte d’avoir descendu son caleçon de bain à un niveau inférieur au nombril. »
Quand la police n’intervient pas et que certains habitants se sentent offensés par la trop grande nudité des baigneurs, il arrive aussi qu'ils décident d’agir par eux-mêmes et s’en prennent aux vacanciers trop court vêtus comme le rapporte cette illustration du Petit Journal Illustré en 1927 intitulée « La punition des baigneuses trop coquettes ».
À compter de 1936 et de l’instauration des congés payés par le Front populaire, le tourisme en direction des plages françaises se démocratisera d’autant plus : près de deux familles françaises sur trois partiront désormais se dévêtir impunément en bord de mer.