Le terrible naufrage de l’Empress of Ireland : mille morts
Deux ans après le Titanic, l’Empress of Ireland, paquebot transatlantique effectuant la traversée entre Québec et Liverpool, coule dans l’Estuaire du Saint-Laurent avec à son bord 1 477 passagers et membres d’équipage. Seules 465 personnes survivront à cette catastrophe.
Le 28 mai 1914 à 16h30, l’un des fleurons de la Canadien Pacific quitte le port de Québec pour rejoindre l’Angleterre.
L’Empress of Ireland n’en est pas à sa première traversée : il a été lancé pour la première fois en 1906 et assure depuis les liaisons régulières entre la capitale du Québec et Liverpool. Avec l’Empress of Britain, il s’agit du plus grand et du plus rapide navire transatlantique de la compagnie. Il est considéré comme sûr : après le naufrage du Titanic deux ans plus tôt, on a augmenté le nombre d’embarcations de sauvetage de 16 à 42.
Et comme avant chaque départ du bateau, des exercices de mise à l’eau des chaloupes, de fermetures des portes étanches et de lutte contre l’incendie ont été effectuées dans la matinée du 28 mai.
« L’Empress of Ireland avait quitté Québec jeudi soir vers 4 heures de l'après-midi Ce transatlantique construit en 1906 à Glasgow par les chantiers Fairfield, était un navire à deux hélices de 14 191 tonneaux et de 165 mètres de long.
L’Empress of Ireland pouvait transporter 350 passagers de 1ere classe, 350 de 2e classe et 1 000 de 3e classe. Rien n'avait été négligé pour faire des paquebots de ce type des navires non seulement confortables, mais extrêmement rapides. La traversée de Liverpool à Québec était effectuée en six jours environ.
L'Empress of Ireland était muni des derniers perfectionnements et comportait une installation de signaux sous-marins. »
Pour cette traversée, le paquebot compte à son bord 420 membres d’équipage et 1 057 passagers répartis dans les trois classes à bord. Le ciel est beau, la météo clémente et le bateau entame sa descente du Saint-Laurent pour rejoindre l’océan. Mais au milieu de la nuit, le brouillard envahit le fleuve.
« Aux premières heures du matin, alors que le navire se trouvait encore dans l'embouchure du Saint-Laurent, un brouillard épais couvrait le fleuve et rendait dangereuse la navigation.
Le capitaine Kendall, commandant le transatlantique, fit alors stopper son bateau au large de Father Point, à environ 180 milles de Québec.
Cette mesure de prudence devait être la cause d'un des plus terribles désastres maritimes qu'on ait eu à enregistrer. »
À 1h40, la vigie du navire aperçoit un feu sur tribord avant, à environ 6 lieues nautiques. Il s’agit d’un charbonnier norvégien, le Storstad, chargé à pleine capacité de 10 000 tonnes de charbon, qui fait route vers Pointe-au-Père (Father Point). Quelques minutes plus tard, il disparaît dans une épaisse nappe de brouillard.
À 1h55, les marins de l’Empress of Ireland voient surgir le charbonnier à une centaine de mètres à tribord. Malgré les manœuvres d’urgence, la collision est inévitable.
« Le Storstad, ayant à bord 17 000 tonnes de charbon, a émergé soudain de la masse sombre qui couvrait les flots, pointant son avant sur le transatlantique ; les deux bâtiments étaient si près l'un de l'autre, qu'ils n'ont pas eu le temps de virer ni de renverser la vapeur.
L'étrave du Storstad s'est enfoncée comme une dent d'acier dans le flanc de l'Empress of Ireland, lui faisant une très large déchirure. »
Le charbonnier éventre le flanc droit du bâtiment, créant un trou de quatre mètres de largeur sur quatorze mètres de hauteur. Par un dramatique fait du sort, il détruit la cloison qui sépare les deux chambres de chauffe, l’endroit le plus vulnérable du bateau, comme le note Les Annales politiques et littéraires.
« La question principale qui se pose, à la suite du naufrage de L'Empress-of-Ireland, est – comme pour Le Titanic – la vulnérabilité de la muraille du navire. […]
Que cette muraille vienne à être heurtée de front par un obstacle, la brèche qui s'y ouvrira n'aura, le plus souvent, aucune conséquence grave, car, grâce aux cloisons étanches, le seul compartiment correspondant sera envahi, et tous les navires actuels sont construits de telle sorte qu'ils puissent continuer à flotter, même quand deux compartiments sont remplis d’eau.
Mais que le choc se produise de biais, comme cela a eu lieu pour Le Titanic et L'Empress, alors les tôles seront arrachées sur une grande longueur et le navire sera rapidement submergé, malgré tout son système de cloisonnement transversal. »
Pour le très sérieux journal, une seule solution pour prévenir ces catastrophes : la double coque.
« Pour éviter la perte irrémédiable qui résulte d'un tel accident, la double coque s'impose.
Cette double coque n'est autre chose que le prolongement Vertical, sur les flancs du bâtiment, du double fond déjà adopté par tous les grands navires. »
L’Empress of Ireland n’étant doté que d’une coque traditionnelle, l’eau envahit immédiatement les chaudières. On estimera plus tard qu’environ 270 000 litres d’eau à la seconde se sont engouffrés par la brèche.
Les signaux d’alarme retentissent et les membres de l’équipage se ruent à leur poste mais le navire s’est couché sur la droite et l’inclinaison les empêche de fermer les portes étanches.
Sur le pont, c’est l’affolement. Les marins essaient de libérer les chaloupes de sauvetage mais elles sont lourdes et la manœuvre complexe : seules cinq d’entre elles seront effectivement mises à l’eau.
De son côté, le Storstad, indemne, met ses propres embarcations de sauvetage à la mer.
« Le Storstad sifflait continuellement, dans l'espoir de savoir où se trouvait l'Empress of Ireland, mais il ne put obtenir aucune indication à ce sujet jusqu'à ce que des cris se fissent entendre.
Le Storstad manœuvra alors de façon à se rapprocher de l'Empress of Ireland autant que la prudence le permettait, étant donné le danger de blesser des gens déjà tombés à l’eau.
Le Storstad mit tout de suite à l’eau toutes ses embarcations et les envoya au secours des passagers et de l'équipage de l'Empress of Ireland, bien qu'il fût lui-même en grand danger de couler. »
Sur le paquebot, l’eau a commencé à inonder la troisième et la deuxième classe, piégeant des centaines de passagers.
Certains d’entre eux ont réussi à se hisser sur le flanc du navire mais à peine quinze minutes après la collision, l’Empress of Ireland sombre déjà dans les eaux glacées du Saint-Laurent.
Henry Kendall, capitaine du paquebot et survivant, témoigne lors de l’enquête :
« J’avais dans l’intervalle, dit-il, donne l’ordre de mettre les canots à la mer. Je courus moi-même le long du tribord et en détachai plusieurs. Je retournai ensuite sur le pont et commandai au premier officier d’avertir le télégraphiste d’envoyer des signaux de détresse, ceci ayant été fait, je criai alors : “Vite les canots à la mer !”
Environ sept minutes après, le paquebot coula. Je fus projeté à la mer et entraîné par la succion.
Ce dont je me souviens seulement, c’est que je saisis un morceau d’écoutille. Combien de temps restai-je ainsi, je ne saurais le dire. J'entendis enfin des voix d’hommes criant d’un canot : “Voici le capitaine, sauvons-le !” et l’on me hissa à bord.
Trente personnes se trouvaient déjà dans cette embarcation. »
Cette catastrophe maritime a fait 1 012 victimes sur un total de 1 477 personnes à bord. Soit une proportion analogue à celle du naufrage du Titanic en 1912. Une différence notable cependant : alors que la maxime « les femmes et les enfants d’abord » semble avoir été appliquée lors du naufrage du paquebot britannique (plus de la moitié des enfants et près de trois-quarts des femmes avaient ainsi été récupérés sains et saufs), elle semble avoir été oubliée sur l’Empress of Ireland puisque seuls 4 enfants sur 138 et 41 femmes sur 310 auront survécu au naufrage…
Malgré le témoignage du commandant Kendall affirmant que le charbonnier norvégien aurait éperonné le navire avant de faire machine arrière, permettant à l’eau de s’engouffrer dans le navire, les responsabilités de l’accident ne sont toujours pas officiellement établies à ce jour.
Ce naufrage constitue l’une des pires catastrophes maritimes du début du vingtième siècle. Cependant dans la mémoire collective, il sombrera vite dans l’oubli : un mois plus tard en effet, l’archiduc François-Ferdinand sera assassiné, déclenchant de fait la Première Guerre mondiale.
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Pour en savoir plus :
James Croall (trad. Serge Proulx), Quatorze minutes : le naufrage de l'« Empress of Ireland », Éditions JCL, 2000
Derek Grout, RMS Empress of Ireland. Pride of the Canadian Pacific's Atlantic Fleet, The History Press, 2014