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Le naufrage du Tcheliouskine, épopée de la modernité soviétique

le par - modifié le 10/04/2024
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Piégé par les glaces, le navire à vapeur soviétique Tcheliouskine achève son expédition au fond des eaux de la mer des Tchouktches le 13 février 1934. Mais davantage que le naufrage, on retient surtout la résilience des rescapés et leur valeureux sauvetage par sept aviateurs soviétiques. Sans surprise, L’Humanité jubile.

L’ouverture de la Route maritime du Nord à l’horizon

Un cap et un bateau. Du cap demeure le point le plus septentrional du continent eurasiatique, et du bateau subsiste une épave dans le grand Nord. Baptisé du nom de l'explorateur polaire et officier de la marine Semion Ivanovitch Tcheliouskine, le navire soviétique mesure 94 mètres de long sur 16,50 mètres de largeur, possède un moteur de 2400 CV et affiche une vitesse de 12,5 nœuds. Du solide donc, mais pas assez, car si l’on a renforcé sa coque, le Tcheliouskine reste un bâtiment de transport et pas un brise-glace.

Construit en 1933 au Danemark pour la Far Eastern Navigation Co, le bateau devient une propriété du gouvernement russe qui le destine très vite aux explorations polaires. Enhardi par l’expédition du Sibiryakov en 1932, point de départ pour l’ouverture de la navigation régulière sur la Route maritime du Nord, le gouvernement souhaite approfondir la découverte du passage du nord-est et ainsi relier plus aisément les villes de Mourmansk et Vladivostok, séparées de 9000 km par la Route maritime du Nord contre 21 000 km par l’océan Indien.

En effet la Route maritime du Nord (RMN), anciennement passage du nord-est, représente le plus court chemin entre l’Europe et l’Asie ainsi qu’une voie intérieure pour ce vaste pays dans lequel les terres les plus reculées deviennent alors accessibles.

Prospectée depuis le XVIe siècle par les navigateurs et ouverte par Roald Amundsen, la RMN est une opportunité unique pour développer un passage exclusivement soviétique, utile après l’isolement du pays sur la scène internationale suite à la révolution de 1917. L’essor des communications radiotélégraphiques et le perfectionnement constant des bateaux rendent ce déploiement possible et surtout fructueux.

Le Comité de la Route maritime du Nord (Komseveroput) est créé en 1920 pour l’amélioration de la route du Nord, d’Arkhangelsk au détroit de Behring. Lui succède la Direction générale de la Route maritime du Nord (Glavsevmorput) en 1932 : similaire à un ministère des transports, elle a pour objectif d’amplifier la navigation maritime et de constituer un immense réseau entre Mourmansk et Vladivostok, terrain fertile pour l’ouverture à la navigation de navires marchands.

À l’époque, deux routes maritimes s’offraient aux navigateurs : soit l’on passait par Suez et l’océan Indien, soit l’on empruntait le canal de Panama et l’océan Pacifique. Des itinéraires longs et coûteux quand on peut longer le littoral de la Sibérie jusqu’au détroit de Behring et alors rejoindre l’océan Pacifique. Les avancées et les économies que représente cette route du Nord sont indéniables, avec à terme l’idée sous-jacente de détourner le trafic maritime de l’Atlantique et ainsi jouir des retombées économiques afférentes. Mais le passage du nord-est est hostile – la glace, le froid et la brume y règnent sans rémission.

La mission d’exploration du Tcheliouskine est confiée au scientifique Otto Ioulevitch Schmidt, accompagné du capitaine Vladimir Ivanovitch Voronine et d’une myriade de collaborateurs et collaboratrices – météorologistes, biologistes, ingénieurs-constructeurs, journalistes, mineurs, chimistes, et même un opérateur cinématographique – afin d’étudier les possibilités de passage en une seule étape à temps avant la fermeture du détroit de Berhing par les glaces, puisque l’on veut à tout prix éviter un hivernage chronophage et dispendieux des bâtiments non brise-glace. Les moindres recoins de ce paysage monochrome, la qualité et la composition de la glace sont étudiés pour favoriser l’installation de stations météorologiques et de communications radios, et rechercher les modifications à apporter aux futurs bâtiments. Une escale était également prévue pour relever une équipe d’hivernants implantée sur l’île de Wrangel.

Au-delà de sa dimension économique, le dessein du gouvernement n’est pas exempt d’intérêts politiques et expansionnistes car la région est extrêmement riche en matières premières d’importance stratégique – platine, naphte, nickel, cuivre – et les terres, elles, sont peuplées. L’hebdomadaire communiste Regards publie le 6 avril 1934 un extrait du récit de voyage d’Ilya Selvinski, présent à bord du Tcheliouskine dans les premiers mois de l’expédition, qui témoigne bien de ces enjeux :

« Nous ne construisons pas le socialisme que pour les seuls habitants de la zone du climat modéré. Ce "socialisme modéré" serait à peine au-dessus du système d’exploitation en vigueur dans les colonies. La politique nationale léniniste, elle, veut élever, au contraire, les peuples retardataires des confins les plus éloignés de notre Union, développer l’économie de la toundra et de la taiga, industrialiser la nuit polaire, faire des Tchoutches et des Esquimaux, ci-devant "sujets imparfaits", des bâtisseurs du socialisme, conscients et civilisés. C'est là une des tâches concrètes du bolchevisme à l’époque de Staline.

Se rendre maître de la ligne formidable qui suit le littoral de l’Océan Glacial. Combien de voyages polaires entourés d’une auréole romantique se sont proposés cette fin ? Les bateaux peuvent seuls aujourd’hui décider du sort du socialisme au delà du cercle polaire. Car la conquête de l’arctique c’est un problème de transport. »

Du départ au naufrage du Tcheliouskine

En juillet 1933, le navire et les membres de l’équipage sont prêts – un chiffre qui oscille entre 101 et 111 selon les sources –, le départ est donné à Leningrad. Après un bref arrêt à Copenhague où la foule se masse pour saluer les Soviétiques, on fait une seconde escale à Mourmansk afin de charger d’importantes quantités de vivre, des vaches et un petit avion amphibie avant de prendre la direction du Grand Nord le 10 août 1933. Ce départ laisse la presse française indifférente : aucune mention dudit navire n’est relevée dans les mois de juillet et d’août 1933, la mission s’inscrivant dans une longue liste d’explorations polaires en cette première moitié de siècle.

Mais les difficultés se font sentir dès le mois de septembre. La ceinture renforcée du bateau n’est pas inébranlable alors que la glace, elle, est particulièrement féroce, si bien que le bateau finit par être immobilisé près de l’île Koliouchine.

Le Petit Journal relate en ces lignes laconiques les problèmes rencontrés en octobre 1933 :

« Moscou, 12 Oct. – Le brise-glace Tcheliouskine s’est trouvé bloqué par la banquise le 29 septembre, entre l’île Wrangel et le continent.

Les dernières informations parvenues à Moscou indiquent qu’une partie de l’équipage, commandée par le capitaine Schmidt, s’est rendue à terre et se dirige en traîneaux vers le cap Ouellen dans le détroit de Behring.

Le reste de l’équipage s’efforce de dégager le Tcheliouskine, mais la tâche est particulièrement difficile, la banquise atteignant une épaisseur de six mètres autour du navire. »

Les mois suivants, « Le sort du "Tcheliouskine" » intéresse le journal Excelsior qui, s’il est loin d’en faire sa Une, est l’un des rares titres de presse à communiquer sur la situation. L’hivernage est inévitable. Les griffes de la glace se resserrent et se défont autour d’un navire balancé d’ouest en est, des îles Diomède à la mer de Barents, et balayé de part et d’autre par les tempêtes et les cyclones. Des mineurs descendent du bateau pour tenter de pulvériser la glace à l’aide d’ammonal mais rien n’y fait, l’équipage doit remettre les plans de navigation à un seul acteur : le hasard.

Après un long voyage en zigzag qui aura duré près de trois mois, la glace l’emporte le 13 février 1934, victorieuse face à un bateau devenu trop fragile. Le Petit Journal du 15 février relate la catastrophe succinctement, tandis que Le Temps du lendemain rapporte, à partir d’un télégraphe de Moscou, les conditions du naufrage ainsi que la perte d’un membre de l’équipage, Boria Moghlevitch, écrasé par une poutrelle – le seul mort à déplorer :

« M. Schmidt annonçait que l’équipage avait passé la dernière nuit dans l’anxiété par suite de l’amoncellement et de la pression des glaces. Le 13 février, la pression a été si forte que le bateau a été éventré sur le côté gauche de la cale avant jusqu’à la chambre des machines. En même temps, les tuyaux de conduite de vapeur ont éclaté, ce qui a empêché toute tentative de pompage. L’importance de la brèche aurait rendu, d’ailleurs, les pompes inutiles. Sans panique, chacun obéissant avec le plus grand ordre, les réserves d’approvisionnement gardées en cas d’avarie, les tentes, les sacs de fourrure, un avion et les appareils de T.S.F. ont été débarqués et transportés sur la banquise.

L’état-major et les derniers membres de l’équipage ont quitté le Tcheliouskine juste au moment où il coulait.

En cherchant à descendre sur la glace, le garçon de cabine Moghlevitch a été précipité à la mer et s’est noyé ; tous les autres navigateurs sont sains et saufs, et ont monté des tentes et construit des barraques de bois. »

À l’aide de planches et des réserves gardées à bord, les rescapés échafaudent un camp doté du nécessaire à leur survie et établissent une liaison radiotélégraphique grâce à leur poste de T.S.F., instrument essentiel pour la communication avec le continent et le suivi de l’avancée des secours. Chacun et chacune fait preuve de « calme et de courage », s’impose même de pratiquer une activité physique tout en poursuivant les recherches scientifiques. L’équipage bolchevik d’un côté, une température de -30°C sur une banquise en dérive de l’autre, l’issue reste imprévisible.

Il faut sauver le camp Schmidt

Sur le continent, on crée une commission gouvernementale pour organiser les secours de l’équipage. Elle est composée de Kouibychev, vice-président du conseil des commissaires du peuple, Yanson, commissaire du peuple aux voies d’eau, Kamenev, commissaire du peuple adjoint à la guerre et à la marine, et Unschlicht, chef de l’administration centrale de la flotte aérienne. Cette commission reçoit quotidiennement de nouveaux projets pour le sauvetage, parmi lesquels des propositions peu réalistes – et franchement baroques pour certaines, tel le recours à des ballons rebondissants, ou simplement trop risquées comme le parachutage depuis un aéroplane de caisses de chiens de traîneaux, manœuvre périlleuse s'il en est puisque l’ « on enregistre des cas de chiens devenus enragés pendant le vol ».

Le sauvetage par les mers est envisagé, mais nécessite beaucoup de temps : des brise-glaces chargés de petits avions prennent la direction du Tcheliouskine, comme le Smolensk, le Stalingrad ou le Krassine qui avait porté secours quelques années auparavant aux membres de l’expédition du dirigeable Italia.

Seulement, le Krassine venait de connaître quelques dégâts dans la mer de Kara et se trouvait alors en réparation ; de surcroît, il devait secourir en priorité des bateaux présents dans la Lena. Son arrivée au camp Schmidt ne pouvait ainsi intervenir avant le mois de mai. Privilège est donc accordé à l'aviation : « Le gouvernement a décidé d’envoyer au secours de l’expédition du camarade Schmidt les meilleurs aviateurs polaires de L’Union. »

Ils sont sept – Lapidevski, Lévanevski, Molokov, Kamanine, Slepnev, Vodopianov et Doronine – à se succéder à bord de petits avions, des Ant 4, R.5, 6 et 7 pour la plupart, initialement destinés aux combats afin de survoler la zone et tenter de rapatrier les rescapés sur la terre ferme.

Sur la banquise, les rescapés s’efforcent de construire des pistes d’atterrissage de fortune, tentent de conjuguer avec les nombreuses saillies d’une banquise en mouvement sans même avoir la certitude de retrouver leur ouvrage le lendemain.

Le 5 mars, Lapidevski parvient à sauver les dix femmes ainsi que les deux enfants de l’expédition, dont la petite Karina née à bord du navire quelques mois auparavant. La Dépêche du 8 mars 1934 revient sur le caractère in extremis du sauvetage :

« Des nouvelles complémentaires reçues du professeur Schmidt, chef de l’expédition du "Tcheliouskine", annoncent que le jour où des femmes et des enfants du camp furent emportés par les glaces, de nouvelles larges crevasses s’ouvrirent dans la banquise portant le camp des rescapés du "Tcheliouskine". Les glaces continuent à aller à la dérive s’entre-choquant et s’accumulant les unes sur les autres.

Pendant la nuit, une baraque en bois, construite par les rescapés et abritant la moitié de l’expédition et notamment des femmes, se brisa en deux. Sans perdre leur sang-froid, les occupants de la baraque ouvrirent les portes de secours aménagées auparavant, en prévision d’un accident et se réfugièrent sur la banquise.

Quand le mouvement des glaces s’arrêta, les deux tronçons de la baraque furent immédiatement réparés et occupés à nouveau. »

Les opérations se poursuivent tant bien que mal : les aviateurs connaissent des avaries, doivent réparer leurs avions, usent de stratagèmes pour embarquer un plus grand nombre de personnes et guerroient contre une météo implacable, l’arrivée du printemps apportant avec elle typhon et brouillard.

Finalement, le 13 avril 1934, soit deux mois jour pour jour après le naufrage du navire, les six derniers hommes présents sur le camp Schmidt sont secourus.

Les échos de l’épopée soviétique en France, entre ignorance et admiration

La réussite quasi totale du sauvetage est plutôt applaudie par la presse française. Pour Le Monde illustré, ce salut est à mettre au compte de la science moderne, de la radiotélégraphie et de l’aviation, tandis qu’Excelsior loue un exploit qui « mérite l’admiration de tous ». « L’épopée » du Tcheliouskine est même racontée dans les colonnes de L’Intransigeant par un feuilleton en treize parties aboutissant au « triomphe ». Dans L’Œuvre du 17 avril 1934, André Pierre narre l’héroïque dénouement qui marque d’autant plus « une page splendide de l’histoire de l’aviation » qu’elle est pacifique plutôt que guerrière :

« Le sauvetage des naufragés du Tcheliouskine mérite d’être inscrit sur la première page du Livre d’or de l’aviation. Et ce qui est surtout admirable, c’est que la plupart de ces vies humaines en péril aient pu être sauvées par des avions de bombardement destinés à semer la mort en temps de guerre. On souhaite à toutes les aviations militaires d’être ainsi détournées de leurs missions meurtrières… »

Pour certains, la raison du succès relève de l’appartenance politique des acteurs. Sans grande surprise, ces articles sont à chercher du côté des journaux de la gauche française, tel L’Humanité qui a suivi avec assiduité l’évolution des secours et loue « l’émulation socialiste » ayant permis l’entente de l'équipage dont la force est « d’être les fils du grand pays du socialisme, de travailler sous la direction du parti communiste, sous la direction du camarade Staline ». Ainsi deux semaines plus tard, L’Humanité livre un article faisant, dans un style ampoulé, l’éloge sans ambages de l’URSS et de la « méthode bolchevik » :

«On a lu, ici-même, comment dès cet instant s’est constitué sur la banquise une véritable société soviétique, avec tous ses rouages, avec sa vie du Parti. C’est là le signe distinctif de cette extraordinaire aventure : sans cela l’expédition se serait terminée par un désastre. Seule la discipline bolchevik a permis aux membres de l’expédition de s’organiser et de tenir jusqu’à l’arrivée des sauveteurs, sous la direction même du Parti bolchevik, par la commission de sauvetage présidée par Kouybychev.

Et c’est là ce qu’il faut répondre au journal blanc de Paris, les Dernières Nouvelles, qui, ces jours-ci, appelait le sauvetage des naufragés : « un pur exploit d’hommes simples et audacieux de la terre russe, qui ont agi non par "politique" mais par un sentiment d’humanité et n’ont obéi qu’à leur courage inné»

Non pas ! L’exploit de nos camarades soviétiques est un exploit de classe, c’est un acte de la lutte du prolétariat pour son hégémonie dans le monde, par la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme et l’asservissement des forces de la nature. »

Et de renchérir :

« Les bolcheviks, en véritables matérialistes, ne reculent devant aucune tâche. Ils ont écouté Marx, et, après lui, Lénine, et ils ne se bornent pas à considérer le monde. Pour eux, il s’agit de le transformer.

Or, l’ouverture de la grande voie maritime du nord (Glavsevmorpout), seule, peut permettre la mise en valeur des immenses richesses qu’enferme la Sibérie, et qui peuvent, en assurant l’indépendance de l’Union soviétique par rapport aux pays capitalistes pour une série de produits vitaux, contribuer de façon puissante aux progrès et à la victoire de la révolution, non seulement dans l’Union soviétique, mais dans le monde entier.

[…]

De plus, le sous-sol sibérien est très riche : or, argent, fer, cuivre, charbon, pétrole s’y rencontrent.

C’est dans la main du prolétariat au pouvoir un atout considérable. »

Dans la même veine, Paul Vaillant-Couturier signe un article à charge contre les « bourgeois » quelques semaines plus tard, lors de la venue des « héros du Tcheliouskine » à Paris :

« Le Paris des travailleurs, car aucun personnage officiel bourgeois, aucun corps constitué de la science française n’avait jugé utile de déléguer un représentant à la gare pour saluer les héros de la science soviétique. Si certains intellectuels étaient mêlés à la foule, c’était à titre privé.

La science "neutre" française a montré ainsi son vrai visage.

De même qu’au cours de leur magnifique exploit les héros du Tcheliouskine avaient montré que la science au service du prolétariat, la science entraînée par le puissant animateur qu’est le parti bolchevik, sait triompher de tous les obstacles. Car, comme l’a dit Staline, "il n’est pas de forteresse que les bolcheviks ne puissent prendre".

L’histoire du sauvetage par les bolcheviks de ces 102 vies humaines est l’une des plus belles épopées de l’humanité. C’est avec cette conviction profonde que les travailleurs de Paris ont hier acclamé Schmidt et Ouchakov et les ont escortés, malgré les charges de police, aux cris de : "Les soviets partout !" »

L’Humanité n’est pas le seul journal critiquant le manque d’écho de l’exploit : alors que Le Populaire tente un comparatif entre cette aventure et « le mythe capitaliste », Le Quotidien reproche un manque de considération – ou une envolée pacifiste – à l’égard des rescapés, du fait de leur nationalité russe.

À la suite du sauvetage est créé sur ordre de Staline le titre honorifique de « Héros de l’U.R.S.S. », alors plus haute distinction dont sont décorés les membres de l’équipage et des équipes de sauvetage, en plus de l’ordre de l’Étoile rouge et de la prime qu’ils reçoivent.

Toutefois, l’héroïsme ne dure qu’un temps puisqu’en 1938 Otto Schmidt est menacé d’arrestation et de procès pour « sabotages criminels » et échappe de peu aux Grande Purges après une année 1937 marquée par des expéditions ruineuses.

Le récit de ce que l’on nomme « aventure », « épopée », à l’issue presque heureuse, a permis de prendre la main sur une voie maritime tant convoitée. Amplifiée par la transmission d’informations régulières, les feuilletons, les journaux où se mêlent sympathie pour l’équipage et enthousiasme pour les découvertes, la glorification de ces hommes mus en héros des temps modernes a permis de rallier l’opinion publique à la cause du gouvernement soviétique. Car en dépit de la perte du navire et de son homme de bord, la mission du Tcheliouskine est un succès : l’équipage a approfondi les connaissances relatives au passage du nord-est et a ainsi posé les premiers jalons pour l’ouverture de la route commerciale du Nord, effective dès l’année suivante.

Pour en savoir plus :

HOESLI Éric, L’Épopée sibérienne : la Russie à la conquête de la Sibérie et du Grand Nord, Genève / Paris, Éditions des Syrtes / Paulsen, 2018.

MALAURIE Jean, « La route maritime du nord soviétique le Glavsevmorput », Annales de Géographie, t. 63, no 340, 1954. p. 461-468 [En ligne].

SYMONIDES Janusz, SYMONIDES Michal, « Les perspectives d’utilisation de la Route maritime du Nord pour la navigation internationale : enjeux et problèmes », Revista Europea de Derecho de la Navegación Marítima y Aeronáutica, 2013, no 30, p. 1-23 [En ligne].

THOREZ Pierre, « La Route maritime du Nord. Les promesses d’une seconde vie », Le Courrier des pays de l’Est, vol. 1066, no 2, 2008, p. 48-59 [En ligne].

FOURS Olga, « Histoire du développement de la route maritime arctique », Routes maritimes. Actes du 130e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, « Voyages et voyageurs », La Rochelle, 2005, Paris, Éditions du CTHS, 2011, p. 81-93 [En ligne].

GEORGE Pierre, « Les Russes dans l’Arctique », Annales de Géographie, t. 47, no 266, 1938, p. 210-213 [En ligne].