La mobilisation en faveur des Rosenberg, condamnés à mort pour espionnage
Accusés par les États-Unis d’avoir vendu les secrets de l’arme atomique à l’URSS, Julius et Ethel Rosenberg sont condamnés à mort en 1951. En France, une gigantesque mobilisation pour les sauver réunit intellectuels, artistes et sympathisants communistes – en vain.
Surgie en pleine Guerre froide, dans une Amérique hantée par la peur du communisme, « l’affaire Rosenberg » défraya la chronique et déclencha une cascade de réactions internationales.
C’est à l'été 1945 que tout commence, dans le désert de Los Alamos, au Nouveau-Mexique, où ont lieu les essais nucléaires américains. L’un des ingénieurs participant aux essais, David Greenglass, œuvre en secret pour les services de renseignement de l’URSS (alliée des États-Unis), à qui il transmet des données confidentielles sur l’arme atomique.
En 1950, Greenglass est arrêté et interrogé par le F.B.I. En échange de la vie sauve, il finit par avouer que sa sœur et son beau-frère, Ethel et Julius Rosenberg, scientifiques comme lui, l’ont aidé à espionner les Américains pour le compte de l’Union soviétique.
Parents de deux enfants, les époux Rosenberg sont de fervents communistes. Pour toute une partie de l’opinion américaine, le fait est accablant. Nous sommes au tout début de la guerre de Corée et les tensions avec le « bloc soviétique » sont à leur comble dans un pays où le maccarthysme, cette « chasse aux sorcières » visant militants et sympathisants communistes, est en plein essor.
En juillet 1950, les Rosenberg sont arrêtés puis incarcérés à la prison de Sing-Sing. Leur procès, durant lequel Julius et Ethel clament leur innocence, a lieu fin mars 1951. Malgré la faiblesse du dossier de l’instruction (aucune preuve matérielle, en dehors du témoignage de Greenglass, n’est produite), ils sont jugés coupables de haute trahison et d’intelligence avec une puissance ennemie. Le 29, ils sont condamnés à la chaise électrique.
En France à ce moment-là, leur cas est encore peu médiatisé. Mais Paris-Presse l’évoque, de façon assez neutre, le 7 avril :
« Julius Rosenberg et sa femme Ethel, poursuivis pour espionnage atomique, ont été condamnés à mort par la Cour fédérale [...].
D’après le ministère public, les époux Rosenberg seront, selon la loi, exécutés à la chaise électrique [...]. Bien qu’ils aient deux jeunes fils, Julius et Ethel Rosenberg ont accueilli le verdict en chantant dans leur cellule. »
Jusqu’à la fin de l’année 1951, rares sont les publications françaises à revenir sur le sort des époux. Les premières manifestations de solidarité viennent de publications comme Droit et liberté, mensuel publié par le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP).
Le journal inaugure une lecture de l’affaire qui sera ultérieurement reprise par de nombreux soutiens des deux condamnés à mort : celle-ci serait une seconde « affaire Dreyfus » et les Rosenberg seraient victimes d’un antisémitisme larvé de la part des institutions américaines. Le 30 novembre, on lit ainsi :
« Cela commence comme un roman policier ou un film d'espionnage à ressorts, et cela finit douloureusement dans une atmosphère de pogrome [...].
Par tous les moyens de propagande possibles, les autorités du F.B.I. cherchèrent à persuader l’opinion américaine que le jeune couple Rosenberg était affilié au parti communiste, qu’il avait fourni des données très confidentielles à l’U.R.S.S. (alliée des U.S.A.) et qu’une montagne de preuves existait à l’appui de ces thèses [...].
De la montagne de preuves, pas une ne fut avancée qui établisse le crime de Rosenberg [...]. Deux jeunes Israélites, dont la responsabilité n'est rien moins qu'établie, sont condamnés à mort ! »
C’est dans le courant de l’année 1952 qu’une mobilisation internationale en faveur des époux, lancée par les communistes, va prendre des proportions exceptionnelles. En France, elle réunira militants, intellectuels et artistes. Tous réclament de revenir sur une peine jugée excessivement sévère, et beaucoup croient en l’innocence totale du couple.
Les manifestations de soutien aux Rosenberg prendront des formes diverses : articles, tracts, pétitions, rassemblements, la presse de gauche offrant une importante caisse de résonance à ce mouvement de solidarité. En octobre 1952, le journal La Vie ouvrière parle de « machination » et compare les Rosenberg à Sacco et Vanzetti, deux anarchistes exécutés aux États-Unis en 1927, dans un article où perce un antiaméricanisme sans ambiguïté :
« Ethel et Julius Rosenberg sont les Sacco et Vanzetti de 1952 [...]. Ils ne sont pas plus coupables que ne l’était Dreyfus. Ils aimaient la paix. Ils avaient des idées progressistes et ils y tenaient.
Eh bien, pour les besoins de la propagande antirouge, on les a baptisés communistes, chose qu'ils ne sont pas. On les a impliqués dans une machination policière. On leur a fait subir un procès truqué [...].
L'Amérique hystérique et bestiale des lynchages et de la chasse aux rouges s’est là déchaînée tout entière. »
Alors que L’Humanité, organe du PCF, organise une vaste campagne pour défendre les deux condamnés, Ce Soir, autre journal communiste, multiplie les articles pour réclamer la révision du procès et n’hésite pas, comme ici le 19 novembre, à comparer les autorités américaines aux nazis :
« Il existe, à travers le monde, des millions d’hommes, blancs, noirs ou jaunes de peau, mais que, pour les besoins de la cause, on décrète tous rouges de sentiments. Contre eux s’exerce un nouveau racisme dont la barbarie n'a rien â envier à celle des nazis.
De quoi, en effet, les napalmiseurs pourraient-ils accuser les incendiaires d’Oradour ? Et comment M. Truman, qui prêche la croisade contre les communistes, n’inviterait-il pas ses satellites à l’imiter lui-même comme à imiter ses devanciers européens ? »
Journal anarchiste, Le Libertaire ajoute le 18 décembre :
« On dénonçait jadis les hérétiques. En la libre Amérique on dénonce les Juifs, les Noirs, les communisants. »
Des photos du couple paraissent : loin de l’image d’Épinal de l’espion au service d’une puissance étrangère, les Rosenberg ont l’allure du couple ordinaire, ce qui facilite l’identification des lecteurs. L’existence de leurs deux enfants émeut le public. Pour L’Emancipateur, hebdomadaire communiste publié à Bourges, « cet homme et cette femme font partie de ce que l’humanité compte de meilleur : le peuple qui, partout sur la terre, défend la liberté, la joie de vivre et la paix ».
Publiées dans la presse (et en 1953 chez Gallimard), les lettres des deux époux jouent également un rôle capital dans la mobilisation. Le 24 octobre, on lit ainsi dans Ce Soir cette lettre de Julius à son avocat :
« Je continue à avoir confiance et à penser que le peuple américain ne laissera pas s’accomplir ce déni de justice [...].
Sachez Messieurs, que je suis innocent et que je ne vais pas me mettre à ramper devant vous et à trahir mes convictions et que je continuerai à combattre pour la liberté et la justice ».
En France, une foule d’écrivains, artistes et intellectuels prennent publiquement position en faveur des époux. Ainsi Picasso qui réalise leur portrait, ou Paul Eluard qui, cinq jours avant sa mort, lance un appel pour « sauver la vie de Julius et Ethel Rosenberg ». Le 10 décembre, Ce Soir fait état du vaste rassemblement organisé la veille à la Mutualité de Paris, au cours duquel des messages de Sartre, de Vercors, d’Hervé Bazin ou d’Aragon sont lus à la tribune.
Alors que l’affaire Rosenberg devient le symbole d’une revendication plus universaliste pour la sauvegarde de la paix, dans un contexte de fortes tensions internationales, Simone Signoret, Yves Montand, Marguerite Duras, Jean Cocteau ou Maurice Druon signent aussi des pétitions en faveur du couple.
L’écrivain catholique François Mauriac, pourtant peu suspect de sympathies communistes, prend également la défense des deux époux, tout comme le pape Pie XII qui intervient auprès du gouvernement américain pour demander leur grâce. Mais rien n’y fait : le 19 juin 1953, Julius et Ethel Rosenberg sont exécutés sur la chaise électrique.
Il faudra attendre la chute de l’U.R.S.S. et la déclassification d’archives du KGB dans les années 1990 pour connaître le fin mot de l’histoire : les époux Rosenberg étaient bel et bien des espions au service de l’Union Soviétique. Dès 1942, ils avaient transmis des informations sur les recherches américaines à Los Alamos au vice-consul soviétique en poste à New York.
En outre, on sait aujourd'hui qu'au moment de leur condamnation, la CIA disposait de preuves accablantes de la culpabilité des époux, mais qu'elle ne les a pas rendues publiques afin de protéger l’identité de ses sources.
Les historiens considèrent toutefois aujourd’hui que les « secrets » scientifiques livrés à l’U.R.S.S. par les Rosenberg étaient d’importance toute secondaire, et n'auraient pu permettre aux Soviétiques de créer la bombe mise au point par les Américains.
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Pour en savoir plus :
Vanessa Codaccioni, « La mobilisation pour la vie sauve des époux Rosenberg : singularité de la cause ou inscription du mouvement dans une tradition de solidarité par-delà les frontières ? », in: Lien social et Politiques (58), 2007
Florin Aftalion, La trahison des Rosenberg, J.-C. Lattès, 2003
Anne Sebba, Ethel Rosenberg, l’erreur judiciaire qui a bouleversé l’Amérique, Alisio, 2023