Extrait de L’Aube, 11 octobre 1944, « Dans les Vosges avec l’armée française »
En Italie, qui plus est, les régiments marocains se sont rendus coupables de viols de masse. Considérées comme un butin de guerre après des opérations militaires particulièrement difficiles et meurtrières, les Italiennes ont pâti d’une violence largement tolérée par le haut commandement, au nom des spécificités des Marocains sous le drapeau français comme du statut ambigu des ressortissants italiens après la capitulation de leur pays.
On retrouve des violences sexuelles sur des populations à la loyauté douteuse lors des luttes d’indépendance qui annoncent la fin des empires. Jamais de campagnes systématiques de viols, bien plutôt des violences à forte connotation sexuelle comme c’est le cas en Algérie, où la France a recours à la pratique massive de la torture contre ceux et celles qu’elle considère comme « suspects ».
Femmes et hommes ne sont pas pour autant considérés à part égale. Les hommes sont renvoyés sans difficulté du côté des insurgés, qu’ils prennent ou non les armes contre les colonisateurs. Leur violence, leur sauvagerie peuvent redevenir des arguments de la répression. Sur les femmes, en revanche, les métropoles européennes ont un regard cette fois plus ambivalent, les appelant à rejoindre la civilisation et la paix incarnées par les colonisateurs. Des programmes d’aide sociale ciblés sont ainsi mis en place en pleine guerre en Algérie, des clubs pour femmes intitulés Progress Among Women sont encouragés au sein des Kikuyu au Kenya, en dépit des liens politiques qui pourraient les rattacher aux insurgés. Il ne s’agit en effet pas seulement de défaire un ennemi mais bien de réaménager les relations entre colonisés et colonisateurs.
La fin des empires laisse ces projets inachevés. C’est désormais dans les métropoles que l’arrivée de migrants originaires des anciens territoires colonisés repose la question des relations entre genre, « race » et violence.
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Raphaëlle Branche est historienne, spécialiste des violences en situation coloniale. Elle enseigne à l’Université de Rouen et fait partie du laboratoire d’excellence EHNE (Encyclopédie pour une Histoire nouvelle de l’Europe), où cet article est initialement paru.
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Pour en savoir plus :
Christelle Taraud, La Prostitution coloniale, Algérie, Tunisie, Maroc (1830-1962), Paris, Payot, 2003.
Mrinalini Sinha, Colonial Masculinity : « The Manly Englishman » and the « Effeminate Bengali » in the Late Nineteenth Century, Manchester, Manchester University Press, 1995.
Heather Streets, Martial Races : The Military, Race and Masculinity in British Imperial Culture, 1857-1914, Manchester, Manchester University Press, 2004.