Dans les années 1930, la guerre aux objecteurs de conscience
Dans l'entre-deux-guerres, face à la menace croissante d'une nouveau conflit international, le mouvement des objecteurs de conscience se développe en France. Conspués par la presse de tous bords, ils feront l'objet d'une sévère répression.
Au lendemain de la Grande Guerre, la France est sous le coup d’un traumatisme sans précédent. Pour que les horreurs de la guerre ne se reproduisent plus, la priorité est à la construction de la paix.
La période de l'entre-deux-guerres voit donc l'éclosion de nombreux mouvements pacifistes. Parmi eux, les objecteurs de conscience, qui font leur apparition en France pendant les années 1920. Clamant haut et fort leur refus de porter les armes, prônant le refus du service militaire, ils créent la polémique au sein même des pacifistes.
Ainsi, la Ligue des droits de l’homme, qui milite avec ferveur pour la paix, évoque dans sa publication en 1926 le dilemme posé par le principe même de l'objection de conscience :
« Il semble, à un certain nombre de ligueurs, que le moment est venu de se prononcer sur ce grave problème.
La base même de l’action de la Ligue est un pacifisme actif, raisonné, justifiable. La Ligue veut la disparition des guerres ; d'ores et déjà elles les proclame illégales de peuple à peuple. La guerre est, pour la Ligue, un crime. [...]
Que la Ligue, qui est une collectivité, pense ainsi, c’est fort bien.
Reste à examiner dans quelle mesure des particuliers, des citoyens isolés, seront admis, pensant de même, à conformer leur conduite à cette conception. [...]
On leur dit [aux objecteurs de conscience] : “Il y a le contrat social. Vous bénéficiez des avantages sociaux en temps de paix, vous ne pouvez répudier les charges du temps de guerre, quitte d’ailleurs, la paix rétablie à bénéficier à nouveau des avantages de la victoire.”
Les objecteurs de conscience répondent : “Ce n’est pas pour nous une question d’avantages ou de charges, c’est une question d’ordre moral.” »
Dans les années 1930, face à la menace croissante d’une nouvelle guerre, le mouvement des objecteurs de conscience se développe, en particulier parmi les petits bourgeois et les intellectuels, et de manière plus marginale dans les classes populaires.
L'Humanité note ainsi en 1931 :
« Il n'est pas douteux qu'un nombre non négligeable d'ouvriers et de paysans se rallient à cette position, surtout quand ils envisagent l'hypothèse d'une guerre.
Se rappelant les horreurs de la dernière, la misère qui a suivi, ils disent en somme : “On ne nous y reprendra pas”. Ces ouvriers sont des objecteurs de conscience sans le savoir. »
Largement minoritaires, les objecteurs de conscience n'en sont pas moins considérés comme un danger pour la France, et la presse semble unanime pour conspuer ceux qu'elle accuse d'être des « contempeurs de conscience ».
L'Écho rochelais s'inquiète ainsi en 1933 de voir étendre l'influence de ces objecteurs de conscience nécessairement « communistes » chez les instituteurs :
« Le prochain congrès des instituteurs va fournir aux objecteurs de conscience l’occasion d’un nouvel effort pour étendre leur influence et leur action parmi les membres du corps enseignant.
Nous avons déjà signalé, à diverses reprises, l'intense propagande exercée par certains jeunes instituteurs communistes qui prônent ouvertement le renvoi des fascicules de mobilisation, le refus d’accomplir les périodes de réserve et le sabotage éventuel de la mobilisation.
Ils espèrent maintenant marquer un point décisif en faisant adopter leur point de vue par les congressistes. »
Face à ce qui est alors considéré comme une menace croissante pour la défense nationale, la répression se met en place et les condamnations pour l'exemple sont régulièrement relayées par la presse.
Ainsi, L'Ouest-Éclair rapporte en mai 1933 :
« Le tribunal militaire d'Orléans a jugé cet après-midi l'objecteur de conscience Armand Rolland, inculpé d'insoumission.
Convoqué pour accomplir une période de réserve, après avoir obtenu plusieurs sursis, il avait refusé d'obéir à ces convocations et le 1er avril dernier il avait été mis en état d'arrestation à la suite du retour de son ordre, au commandant du recrutement avec ces mots :
“Ne comptez-pas sur moi, mon corps est à moi. On croit mourir pour la Patrie et on meurt pour les industriels”. »
Et quand le préfet de police de Paris Jean Chiappe, proche de l'extrême droite, prévient qu'une répression sans faille s'exercera à l'encontre des objecteurs de conscience, la presse de tous bords applaudit.
Ainsi L’Homme Libre, le journal de centre-gauche fondé par Clemenceau en 1913, se félicite-t-il de ce « noble discours » :
« “Je ne saurais admettre l'objection de conscience, déclara énergiquement, dès le début, M. Chiappe, et j'entends me ranger aux côtés de ceux qui sont prêts à défendre la patrie, quelles que soient les circonstances, dont le salut ne saurait être soumis au caprice ou à la mystique d'hommes, si sincères soient-ils.” [...]
M. Chiappe termina ainsi son émouvante intervention :
“Confondant une fois de plus, dans la même pensée de dévouement à la Ville de Paris et à la nation, le préfet de police et le citoyen, je travaillerai de toute mon énergie, de toute ma volonté, à briser les criminelles tentatives des objecteurs, non, des corrupteurs de conscience et des contempteurs de la patrie.”
Ce noble discours, est-il besoin de le souligner, recueillit tous les suffrages, et c'est par une longue salve d'applaudissements que notre si vigilant préfet fut accueilli à sa descente de la tribune. »
Quant au quotidien communiste L’Humanité, s'il déplore la répression des objecteurs de conscience, il n’en réprouve pas moins leur principe, jugé « inopérant » :
« Nous avons souvent donné notre opinion sur les méthodes préconisées par les objecteurs de conscience. Nous considérons ces méthodes comme inopérantes.
Pis encore, nous estimons qu'elles tendent à détourner le prolétariat de la véritable et efficace lutte contre la guerre : l'antimilitarisme tel que nous l'ont appris Lénine et les bolcheviks. »
La montée des totalitarismes et des mouvements fascistes, de même que l'inexorable déclenchement de la guerre mettront à mal l’objection de conscience et plus largement, les mouvements pacifistes.
Le droit à l'objection de conscience sera accordé en décembre 1963 par le président de Gaulle, à des conditions néanmoins très restreintes. Une victoire obtenue par Louis Lecoin, anarchiste et fervent défenseur de l'objection de conscience, au terme de plusieurs années de lutte et d'une grève de la faim menée à l'âge de 74 ans.