Novembre 1917 : la sanglante conquête de Moscou
Un reporter du "Journal" raconte les violents combats qui déchirent Moscou à l'automne 1917.
La révolution d'Octobre a lieu en deux temps. Si elle est un succès rapide à Petrograd (Saint-Pétersbourg), en revanche la tentative de prendre Moscou du 28 octobre au 2 novembre rencontre une vive résistance. Pendant une semaine, de violents combats ont lieu entre les troupes des bolcheviks, menées par Nicolas Boukharine, et celles de leurs opposants socialistes-révolutionnaires et monarchistes.
Paul Erio, reporter au Journal, qui couvre la Révolution russe depuis le mois d'avril, est sur place. La description qu'il donne du conflit qui se joue à Moscou est apocalyptique. Voici un extrait de son article rédigé le 7 novembre, mais publié le 2 décembre suite à un retard de transmission :
Il n'est pas possible de faire un récit détaillé et ordonné de la lutte épouvantable qui s'est engagée à Moscou, car chaque groupe d'émeutiers agissait séparément et sans aucune méthode ; mais ils tiraient tous furieusement, haineusement, heureux de tuer et de détruire, et ce n'est que lorsqu'ils se trouvèrent harassés, sans forces, que les léninistes, qui avaient organisé l'insurrection, purent les calmer et les décider à mettre bas leurs armes.
Erio décrit les fusillades, les émeutes, les destructions de bâtiments, mais aussi la terreur et la faim qui tenaillent la population. Comme la grande majorité des journalistes français, il se montre particulièrement hostile aux "maximalistes" (les bolcheviks) dont il pointe la "folie destructrice".
Aujourd'hui Moscou offre un aspect lamentable, affreux. […] Dès maintenant, on parle de deux mille morts et de dix mille blessés. Cet horrible bilan n'a point fait frissonner Lénine ; il se félicite, au contraire, hautement, de la victoire remportée à Moscou par ses troupes, victoire qui, selon ses propres paroles, démontre lumineusement l'unité et la volonté du prolétariat !
Les bolcheviks finissent par s'emparer du Kremlin et par prendre le contrôle de la ville. Le 27 novembre, Paul Erio signera un article extrêmement critique sur les débuts du régime, auxquels il assiste directement (l'article ne sera publié que le 7 décembre). Lénine, qualifié le d'"illuminé sectaire et sanguinaire", y est présenté comme le Mal absolu.
Tous les lieux communs du collectivisme prennent ici force de loi. Tous les arguments de brasserie, ressassés pendant un demi-siècle par des milliers de pseudo-anarchistes plus assoiffés que convaincus, sont prétextes à décrets. […] Les usines deviennent la possession des ouvriers. Les hôtels passent aux mains des plus bas serviteurs. Ce qui est à vous est à moi. Il n'y a plus ni riches ni pauvres. Tous les citoyens sont égaux et le plus simple des moujiks peut aspirer aux plus hautes situations. De cette dernière promesse les masses paraissent un peu ahuries par la fortune subite et imprévue qui leur échoit.
À partir du printemps 1918, le nouveau régime devra faire face à une opposition croissante, à la ville comme à la campagne – opposition populaire, monarchiste, socialiste ou encore libérale. La situation débouchera à l'été 1918 sur la guerre civile, qui déchirera l'ancien Empire russe pendant plus de cinq ans.