Écho de presse

Hemingway interviewé au retour de la guerre d'Espagne

le 23/03/2020 par Pierre Ancery
le 26/07/2018 par Pierre Ancery - modifié le 23/03/2020
Ernest Hemingway posant pour la photo de la première édition de "Pour qui sonne le glas", photographie Lloyd Arnold, 1939 - source WikiCommons

En 1937, l'écrivain Ernest Hemingway part couvrir la guerre d'Espagne pour la presse américaine. De retour à Paris, il raconte sa vision du conflit à un journaliste de Ce Soir venu l'interviewer.

Décembre 1937, gare d'Orsay, à Paris. Un reporter de Ce Soir est là pour accueillir un illustre passager du train qui arrive de Toulouse. Ce passager, c'est Ernest Hemingway (1899-1961), le célèbre romancier américain, auteur de L'Adieu aux armes et de Le Soleil se lève aussi, parti couvrir pour la presse de son pays natal le conflit qui déchire au même moment l'Espagne.

 

Le journaliste raconte :

« Hier, tandis que la nuit tombait sur Paris, un homme grand et fort, au visage large et souriant, sortait de la gare d'Orsay.

Hemingway ! dit quelqu'un qui se trouvait près de moi.

C'était bien, en effet, Ernest Hemingway qui arrivait à Paris. Le grand écrivain américain, l'ami du président Roosevelt, arrivant de Teruel, où il avait suivi les opérations militaires, aux côtés de l'armée républicaine victorieuse.

Je suis incapable de faire le moindre récit, me dit-il. Il y a cinq nuits que je ne suis pas sorti de mes vêtements, que je ne dors pas.

Mon cher confrère, pour Ce soir.

Ah ! vous êtes de Ce soir ? Vous avez à Teruel un fameux correspondant. Savez-vous que Mathieu Corman est le premier journaliste qui ait pénétré dans Teruel ? Comme courage, on ne fait pas mieux que votre envoyé spécial. »

Archives de presse

La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939

Reportages, photo-journalisme, interviews et tribunes publiés à la une à découvrir dans une collection de journaux d'époque réimprimés en intégralité.

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Hemingway, horrifié par la montée des fascismes en Europe et amoureux passionné de l'Espagne, où il a vécu avant la guerre, s'est engagé auprès des forces républicaines. Il s'est rendu sur place pendant de longs mois, a écrit plusieurs articles sur la situation et a donné aux anti-franquistes quelque 40 000 dollars pour l'achat de matériel sanitaire.

 

Au journaliste de Ce Soir, il va faire le récit détaillé de ce qu'il a vu en Espagne. Hemingway a en effet assisté au début de la bataille de Teruel, qui se poursuivra encore plusieurs mois et se révélera une des plus décisives de la guerre civile.

« Une heure plus tard, c'est dans un grand hôtel du centre que je retrouvais E. Hemingway et que je continuais avec lui la conversation ébauchée à la gare.

 

Des détails sur la bataille de Teruel ? dit-il. Mon Dieu, oui, mais par où voulez-vous que je commence ? D'abord — et c'est merveille ! — nul ne sut rien de l'offensive qui se préparait. Jusqu'au 15, jour où elle débuta, elle fut tenue absolument secrète.

 

Un autre fait qui prouve que l'Espagne à laquelle nous étions habitués a bien changé : ce sont uniquement des forces espagnoles qui ont conduit l'offensive. À Teruel, par une seule brigade internationale n'a participé à l'offensive. Les soldats républicains ont dépensé là des trésors d'héroïsme et d'impatience. Le moral de cette armée n'est pas celui qu'on est accoutumé de voir après dix-huit mois de guerre — et je vous en parle d'expérience, puisque j'ai fait la guerre en Europe ! C'est le moral d'un début de guerre ! »

Hemingway se révèle optimiste sur l'issue du conflit. Pour lui, l'armée républicaine a les moyens de l'emporter. À propos de la bataille de Teruel, il ajoute en effet :

« — Elle a été très meurtrière pour les troupes de Franco et, très sincèrement, beaucoup moins coûteuse qu'on le croyait pour les républicains. Dès le cinquième jour de la bataille, l'état-major de Franco lança de violentes contre-attaques, sans aucun souci de ménager des vies humaines. Dix mille Italiens, retirés du front de Gundalajara, et vingt mille Maures et Espagnols furent amenés en hâte sur le Front de Teruel. Les pertes italiennes sont très élevées. »

Avant de conclure :

« Une chose a frappé tous ceux qui ont suivi la bataille de Teruel : ce sont les progrès formidables réalisés par l'armée républicaine qui est maintenant devenue une armée offensive ! J'ai fait la guerre en Europe, il y a vingt ans, et depuis cette époque je n'ai pas vu manœuvrer une armée avec tant de discipline et de souplesse.

 

Cette armée est maintenant au point. Elle est formidablement organisée ! Quant à l'aviation républicaine, elle est nettement supérieure à l'aviation de Franco. Je crois que les affaires d'Espagne nous réservent de grosses surprises ! »

Mais l'écrivain se trompe : c'est Franco qui gagnera la bataille de Teruel en février 1938, au cours d'une violente contre-offensive. Ce sont aussi les franquistes qui emporteront la guerre d'Espagne en 1939.

 

Hemingway se servira néanmoins de cette expérience aux côtés des forces républicaines pour écrire son roman Pour qui sonne le glas, en 1940. À la fois reportage de guerre, récit d'aventures et méditation sur le destin de l'homme, le livre restera l'un des plus célèbres de son auteur.

 

Pour en savoir plus :

François Godicheau, Guerre d'Espagne : la fin des légendes, à lire sur le site du magazine L'Histoire enrichi d'une sélection d'archives de presse RetroNews.

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