Écho de presse

Novembre 18, la fuite du Kaiser : « Puisse mon abdication servir au bien de l’Allemagne »

le 27/11/2023 par Marina Bellot
le 06/11/2018 par Marina Bellot - modifié le 27/11/2023
« Guillaume II déchu », gravure de Jean Veber, 1918 - source : Gallica-BnF
« Guillaume II déchu », gravure de Jean Veber, 1918 - source : Gallica-BnF

Contraint à renoncer au pouvoir, l'Empereur abdique officiellement le 9 novembre 1918 et s'enfuit en Hollande. Désigné comme le responsable de la guerre, il ne sera pourtant jamais livré aux vainqueurs.

Dès le début du mois d’octobre 1918, les bruits courent au sujet d’une abdication imminente de Guillaume II, l'empereur d'Allemagne ou « Kaiser », comme le rapporte jour après jour la presse française. L'Allemagne, qui subit depuis des mois la contre-offensive victorieuse des Alliés, se sait perdue.

La démission fin octobre du général Ludendorff, puis les mutineries des marins de Kiel le 3 novembre qui ont ouvert la voie à un mouvement révolutionnaire, ne laissent plus aucun doute : la chute de l’empire allemand est en marche.

Contre l’avis du chancelier Max de Bade, Guillaume II quitte Berlin pour s'enfuir à Spa, en Belgique, où il compte trouver la protection de l'armée. 

De tous côtés, on réclame désormais l’abdication de l'Empereur, que l'opinion publique désigne comme le premier responsable de la guerre.

Le 5 novembre, le président américain Wilson demande la capitulation sans conditions de l’Allemagne. 

Les jours suivants, le mouvement révolutionnaire s'étend à toute l'Allemagne du nord et de l'ouest. 

À Munich, la République est proclamée. La plupart des grands aristocrates, rois et princes du territoire allemand, sont déjà sur le chemin de l'exil. À Berlin, le gouvernement hésite à envoyer un ultimatum à l'Empereur. 

« Restera-t-il, restera-t-il pas », s’interroge Le Petit Journal le 5 novembre. 

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De Berlin, on envoie à Spa télégrammes sur télégrammes pour demander l'abdication de l'empereur. Face à l’inertie de Guillaume II qui se refuse à quitter le pouvoir, le chancelier précipite le cours de l'Histoire en annonçant par anticipation l'abdication du Kaiser. 

La République est proclamée, le Kaiser n'a d'autre choix que de se résigner à abdiquer officiellement le 9 novembre 1918.

En France, le journal de centre-droit Le Temps, tout en se réjouissant de l’armistice, semble compatir au sort de Guillaume II. On annonce le 12 :

 « Guillaume II, profondément ému, avait résisté jusque-là à tous les efforts faits pour l’amener à l’abdication, mais les nouvelles des événements qui se produisaient en Allemagne l’y décidèrent. [...]

L’Empereur signa en disant : “Puisse mon abdication servir au bien de l’Allemagne.” »

Contraint de céder le pouvoir, l’ex-empereur doit désormais lutter pour sa survie. Craignant de subir le même sort que son cousin le tsar de Russie et ne pouvant courir le risque de regagner Berlin, où l’agitation révolutionnaire est à son paroxysme, il décide de fuir aux Pays-Bas, État neutre.

En France, les informations parviennent, avec quelques jours de retard, depuis l’Angleterre, où le Daily Telegraph publie les dernières nouvelles de ses correspondants.  

Le 12 novembre, Le Figaro raconte les dernières heures du Kaiser tout juste déchu : 

 « Dimanche après-midi, Guillaume II se trouvait à Maëstricht, attendant la réponse du gouvernement hollandais au sujet de sa venue dans ce pays. 

L’ex-Kaiser voyage avec sa femme et son fils aîné. Sa suite comprend dix personnes. Les voyageurs arrivèrent en automobiles, avec l'intention, pense-t-on, de se rendre à Middachton, près d'Arnhem, où habite le comte Bentinck. 

Les autorités et l'opinion paraissent éprouver un grand embarras de la présence de Guillaume. Beaucoup de gens pensent que l’ex-empereur et l’ex-Kronprinz devraient être renvoyés en Allemagne. On exprime l'opinion qu'ils devraient être internés comme officiers belligérants. 

Le Kaiser paraît s'être cramponné jusqu'à la dernière minute à son trône. Il a fallu lui arracher son abdication. [...]

Il ne prit une décision qu'environ une heure plus tard, après avoir reçu plusieurs messages de Berlin et après une seconde entrevue qui fut violente et orageuse avec Hindenburg.

On ajoute que Guillaume II essaya d'abord de se diriger vers les lignes britanniques afin de se rendre aux Anglais, mais il en fut empêché par les troupes révolutionnaires. Il retourna alors à Spa et se dirigea vers la Hollande. »

Toujours par le biais des dépêches qui parviennent au Telegraph, Le Populaire donne tous les détails du passage du Kaiser en Hollande :

 « Le Kaiser, avec sa suite, a passé la frontière près de Maëstricht, de bonne heure, ce matin, en automobile.

11 h 15. Le Kaiser s'est rendu à Middachten, près d'Arnhem, au château du comte Bentinck. 

12 h 54. Le Kaiser a atteint la frontière hollandaise à Eysden, ce matin à sept heures et demie. Neuf ou dix automobiles, portant l'aigle impérial, représentaient sa suite, Les premières personnes à le voir furent les ouvriers de nuit de l'usine belge de Maestricht, dont les bâtiments se trouvent de l'autre côté de la gare d'Eysden.

L'empereur était en uniforme, mais son casque avait cédé la place à une casquette. [...]

À l'arrivée, le Kaiser, qui ne semblait pas très abattu, sauta en bas du marchepied, la cigarette à la bouche, et s'entretint avec son état-major. »

Pour la gauche française, la chute de l’Empire est un symbole d’autant plus fort que c’est une République socialiste qui est proclamée après l’abdication de Guillaume II.

Ainsi, L’Humanité s’enthousiasme :

 « La République allemande est désormais une réalité vivante. Elle tombe du premier coup aux mains des socialistes, qui ont renoncé à leurs divisions, hier encore violentes comme les nôtres.

Majoritaires et minoritaires se sont ensemble mis sans retard au travail ; en de semblables circonstances, ils ont compris le rôle que leur assignait l'histoire. »

À l'issue de la guerre, Guillaume II sera désigné par les puissances alliées comme le principal responsable du conflit.

L'article 227 du traité de Versailles, signé en juin 1919, l'accusera personnellement d'« offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités ». L'Empereur déchu ne sera en réalité jamais livré aux vainqueurs. Il mourra de sa belle mort à l'âge de 82 ans, deux ans après le début de la Seconde Guerre mondiale, dans son pays d'accueil, les Pays-Bas.

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Pour en savoir plus : 

Ad. Verbraeken, L'Effondrement de l'Empire allemand vu par un historien norvégien, in: Revue d'histoire moderne, 1933