Années 1930 : les pêcheurs bretons en crise
La crise économique internationale des années 1930 affecte durement les marins pêcheurs bretons. Beaucoup sombrent alors dans la misère et doivent se résoudre à abandonner le métier.
Douarnenez, Le Guilvinec, Lorient, Saint-Servan, Cancale… Autant de villes bretonnes façonnées par leur port, leur criée, leurs conserveries. À la suite du krach boursier de 1929, celles-ci se retrouvent aux avant-postes de la crise économique sur le point de s'abattre sur le monde.
Dès 1931, l'onde de choc affecte la Bretagne. Le monde paysan est durement éprouvé, le chômage gangrène les villes.
Les pêcheurs, eux aussi, subissent de plein fouet les effets de la crise.
Tout au long des années 1930, le quotidien breton L’Ouest-Éclair se fait l’écho de leur misère et relaie auprès des pouvoirs publics leurs appels à l’aide.
« De toutes les industries, les industries maritimes ont été le plus durement touchées par la crise économique », alerte le quotidien en 1933, chiffres alarmants à l’appui :
« S.O.S. Cela, le sait-on ? 35 000 familles de marins bretons se trouvent à l'heure présente dans la plus extrême misère au reste. 60 000 marins sont atteints par le chômage, dont 95 % ne sont pas secourus. [...]
Les populations maritimes de France sont dans une profonde détresse. Le sait-on en haut lieu ?
Rien qu’en Bretagne, 8 000 marins du commerce attendent, depuis de longs mois, un embarquement problématique. [...] Actuellement, 36 000 familles maritimes bretonnes sont réduites à l'extrême misère.
Quand se décidera-t-on à les secourir ? Se contentera-t-on encore de belles promesses vite oubliées à la faveur de crises ministérielles ? Faudra-t-il que ces pauvres gens meurent de faim ?
Quel est l'ouvrier de France qui, avec 1 000 ou 2 000 francs par an, peut nourrir sa femme et 6 ou 7 enfants ? »
En février de la même année, le ton se fait encore plus alarmiste :
« En certains points de la côte sud-finistérienne, les familles vivent uniquement de coquillages et de pommes de terre.
À quand l'organisation des secours ?
La famine est aux portes des foyers. Elle sera demain une terrible réalité. Nous n'exagérons rien, parce que nous avons constaté nous-mêmes, sur place, l'évidence de nos affirmations. »
Face à l’inertie des pouvoirs publics, c’est aux citoyens qu’en appelle L'Ouest-Éclair, les exhortant à manger breton :
« Mangez surtout des conserves françaises, et qui plus est, exigez des conserves bretonnes, que l'argent de vos achats reste dans votre patrimoine régional pour son enrichissement et sa prospérité.
Le pêcheur breton a suffisamment de mal à gagner son modeste salaire pour que ses frères ne fasse pas preuve envers lui de la plus noire ingratitude. »
En 1935, tandis que le débat sur la crise de la pêche s’invite à la Chambre, un député du Morbihan monte à la tribune pour exhorter les pouvoirs publics à protéger les marins contre la concurrence étrangère.
« L'État doit, déclare-t-il, protéger les pêcheurs contre la concurrence étrangère et leur assurer le marché français. On ne saurait dire que jusqu'ici le nécessaire ait été fait.
Le député de Vannes précise que les Français consomment annuellement 300 000 quintaux de boîtes de sardines. La France peut fournir facilement 250 000 quintaux.
Or le gouvernement a laissé introduire 235 000 quintaux de boîtes en provenance du Maroc, de l'Espagne et du Portugal. “Comment veut-on que les prix ne s'effondrent pas ?” »
Las, en 1936, le quotidien breton exhorte encore à « sauver les pêcheurs bretons », tandis que les soirées de soutien en leur faveur se multiplient. Leur situation est symptomatique des maux dont souffre une société française en crise dans laquelle « l'argent est roi », explique un ancien commandant de vaisseau.
« La misère dont souffre le pêcheur breton n'est qu'un côté particulier du grand mal social moderne : la motorisation intensive, l'industrialisation à outrance ont asservi l'homme à la machine.
Dans une société où l'argent est roi, le souci de la personnalité humaine et le maintien des traditions familiales ont fait faillite. Et c'est ainsi que disparaissent les foyers bretons, où en dépit d'un rude labeur, les vaillantes générations de pêcheurs s'étaient succédées.
Le malaise des marins bretons entraîne leur désaffection du métier, l'exode, et l'irritation contre la société.
Il faut sauver les pêcheurs bretons afin que demeurent leur héroïsme et leur famille. »
Devant le manque de soutien des Français, beaucoup abandonneront le métier pendant ces rudes années 30. En 1940, un reportage sur les pêcheurs de Concarneau relate leur spectaculaire diminution :
« Ils furent jusqu'à sept cents. Combien aujourd'hui ? Cinquante ? Quarante ?
Et puis leur nature. Ces sept cents sardiniers sont devenus à présent, en partie, cent cinquante thoniers.
Le thon et le chalut, voilà les deux grands faits nouveaux d’une histoire d'ailleurs déjà très ancienne.
Est-ce tout ? Non, car la population a sensiblement diminué. Nombre de pêcheurs ont émigré, changé de profession. La mer a perdu des sympathies. »
Tout au long du XXe siècle, les revenus des matelots continueront d’être indexés sur le chiffre d’affaires généré par l’entreprise pour laquelle ils travaillent – « pas de poisson, pas de paie », comme le disait la formule. Depuis 2011 en revanche, les marins pêcheurs français bénéficient enfin d’un salaire minimal garanti de 1 500 euros net par mois.