Mais cet accueil positif n’est pas unanime. Associé à l’opération, l’historien Ernest Lavisse, un des chantres du roman national, avertit alors sur le danger que « les champs de bataille soient camouflés en champs de foire ».
Certains poilus le prennent au mot. Dès cet automne 1917, le journaliste-soldat André Charpentier imagine, dans une chronique grinçante notamment reproduite dans le journal de tranchées Le Bochofage, un futur où les champs de bataille ne verront plus s’opposer soldats français et allemands mais des touristes munis de leur Michelin ou de leur Baedeker :
« On s’aperçoit que, la paix conclue, la guerre ne fait que commencer. Un “Boedecker”, après avoir compulsé son guide, explique à ses compagnons :
– C’est ce petit poste dont les Allemands s’emparèrent au début de l’action du 4 novembre...
A cette assertion, un “Michelin” sursaute :
– Pardon, monsieur, interrompt-il, vous commettez une erreur historique : les Français de ce petit poste ont repoussé victorieusement toutes les tentatives boches... »
S’ensuit une bataille rangée, conclue par une victoire, avec pertes, des Français. Parmi ces dernières, une touriste âgée « oubliée » dans un trou d’obus de 380 par son gendre, un ancien poilu qui s’en tire avec ce commentaire cynique :
« C’est bien son tour… »
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Pour en savoir plus :
Susanne Brandt, « Le voyage aux champs de bataille », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°41, janvier-mars 1994
Yves-Marie Evanno et Johan Vincent (dir.), Tourisme et Grande Guerre. Voyage(s) sur un front historique méconnu (1914-2019), Éditions Codex, 2019
Françoise Knopper, « Photographies et mémoires de la Première Guerre dans les guides Michelin (1917-2019) », Symposium Culture@Kultur, vol. 3, 2021
Hadas Zahavi, « The Michelin Guides to the Battlefields of the First World War: The Destruction of War as a Tourist Attraction », French Studies, vol. 76, n° 2, avril 2022