La découverte du bacille de la peste en 1894
C’est durant l’année 1894 qu’Alexandre Yersin, bactériologue, élève de Pasteur, parvient à isoler, décrire et identifier pour la première fois le bacille de la peste à Hong Kong, en Chine méridionale. C’est une découverte scientifique majeure qui frappa les esprits et permit de découvrir des sérums pour lutter contre la maladie. Elle fut abondamment relayée par la presse quotidienne, inquiète d’une propagation de cette pandémie en Europe.
La double découverte d’Alexandre Yersin en 1894 : le bacille et le rat
La peste se propage en Chine méridionale, venant de Mongolie. Le Rappel s’inquiète de la situation sanitaire en Chine méridionale où sévit une épidémie de peste aux effets foudroyants : « 90 à 94 % des malades succombent aux attaques du fléau ». « Dans la seule journée du 20 juin, 53 cas nouveaux se sont produits et 45 malades ont succombé » (3 août 1894). Le Journal des débats du 3 octobre 1894 ajoute : « Importée de Canton et Pakhoï où elle sévissait depuis le mois de mars, [elle a] fait plus de 100 000 victimes en deux mois ».
Inquiets, le gouvernement français et l’Institut Pasteur envoient Yersin pour enquêter sur cette pandémie. Alexandre Yersin, médecin colonial au parcours original, quitte Saigon le 15 mai 1894 pour Hong Kong où sévit la peste. Il réalise des autopsies sur des cadavres pestiférés et isole un microbe inconnu dans ceux de soldats anglais. Il découvre le bacille de la peste bubonique (qui devient la Yersinia pestis) le 20 juin 1894 : « La peste est vaincue » titre Le Constitutionnel le 9 août 1894. Le bactériologue soupçonne également le rat d’être un des principaux propagateurs de l’épidémie : il en apporte la preuve scientifique en prélevant dans l’organisme des rats morts le bacille de la peste. Il démontre également la persistance du germe dans le sol qui contribue à accentuer l’extrême contagion de cette bactérie.
Les principaux quotidiens dévoilent cette découverte en reprenant uniquement la déclaration officielle de l’Inspection des services de santé du ministère des Colonies. Les jours suivants, ils reproduisent des extraits du rapport du docteur Yersin lu à l’Académie des sciences lors de la séance du 30 juillet. Il reçoit la Légion d’honneur en récompense par le ministre des Colonies, Théophile.
De l’analyse de la maladie aux premiers traitements
Alexandre Yersin devient pour la presse française « Le maître de la peste » selon les termes du Matin. La presse médicale rend compte des découvertes scientifiques de Yersin dans les Annales de l’Institut Pasteur (« La peste bubonique à Hong Kong » en 1894, « Sur la peste bubonique (sérothérapie) » en 1897), mais c’est la presse quotidienne qui popularise ses découvertes, se glorifiant des bienfaits que la France apporte à l’humanité dans la « défense contre ce fléau » dans Le Petit Parisien du 30 janvier 1897.
Yersin a déterminé une période d’incubation de la peste de 4 à 6 jours. Il décrit les symptômes, observe l’apparition d’un bubon le premier jour dans les régions inguinale, crurale voire cervicale, et constate que la mort survient souvent au bout de 24 heures. À partir de septembre 1894, les grands quotidiens multiplient les articles et les feuilletons pour informer les lecteurs sur la propagation de la maladie et sur les découvertes scientifiques opérées notamment par Yersin. Ce dernier ne parvient toutefois pas à élucider le mécanisme de la transmission du rat à l’homme. C’est Paul-Louis Simond qui établit à Karachi en 1898 le rôle de la puce qui diffuse le bacille par sa piqûre.
La possession du bacille lui permet de préparer un premier sérum. Avec Émile Roux (1853-1933), et Albert Calmette (1863-1933) de l'Intitut Pasteur, il met au point un vaccin et un sérum contre la peste en 1895. Ils procèdent à leurs expériences sur des chevaux et ces derniers « immunisés [leur] donnèrent un sérum avec lequel il[s] guérissai[ent] les souris et les rats auxquels il[s] avai[ent] inoculé la peste » avant de l'utiliser pour soigner un jeune chinois. Il est testé lors de la nouvelle explosion épidémique en 1896 à Canton et en Inde. Son usage à Bombay a réduit de 40% la mortalité.
La peste et la presse : la peur de la contagion
Les journaux reprennent le même schéma narratif : ils exposent successivement la virulence de l’épidémie, l’histoire de la peste, les découvertes de Yersin et l’impréparation (voire le manque de conscience du risque) des autorités pour faire face à une éventuelle contagion en Europe. À partir de 1897, les pandémies de peste deviennent un sujet d’inquiétude face à une contagion de l’Europe. Le Petit Journal rappelle que la « question de la peste n’intéressait notre Occident européen que d’une façon quasi-platonique puisque le fléau ne faisait de victimes que parmi les Chinois » (31 janvier 1897). Depuis que la peste a atteint Bombay, une colonie britannique, les risques de propagation en Europe deviennent plus importants.
Le Journal des débats s’interroge sur les vecteurs de propagation de la maladie mais aussi sur le contexte de diffusion spatiale de la peste née dans le Yunnan en 1893 et qui a touché la Chine, puis s’est propagée par les navires anglais en Inde, en Égypte puis jusqu’à Madagascar et la Réunion à l’automne 1898 (14 septembre 1899). Les ports et les entrepôts de tissus, qui hébergent les rats, sont les portes d’entrée de l’épidémie de peste : la première mondialisation des échanges favorise l’expansion du risque sanitaire. En février 1897, une conférence internationale a lieu à Venise pour déterminer les mesures à adopter pour préserver l’Europe de la peste. En France, on entend limiter tout risque de contagion en interdisant d’entrée les produits des zones infectées. Malgré tout, la peste touche des territoires européens comme Porto au Portugal en 1899 ou l’Algérie rapporte Le Matin le 12 novembre 1899.
La confiance dans les progrès scientifiques amène la presse à se montrer plus rassurante au tournant de XXe siècle : « Oui, un fléau, et qui ne manque pas d'envergure, mais un fléau qui, je me hâte de le dire, nous fera plus de peur que de mal » déclare Jules Hoche dans L’Ouest-Éclair le 9 octobre 1901. Le Petit Parisien annonce même « la fin des grandes épidémies » le 16 juillet 1901. Pourtant, l'inquiétude renaît à chaque résurgence de peste. Quand elle éclate en Mandchourie en 1911, Le Matin déclare : « Nous assistons à la plus vaste épidémie de peste qui ait ravagé le monde » (17 février 1911). Mais c’est plus l’effroi de la catastrophe humanitaire que la peur de la contagion qui prévaut.
Alexandre Yersin (1863-1943)
Né à Lausanne, naturalisé français, Alexandre de Yersin est un médecin formé à l’Institut Pasteur et auprès de Koch à l’Institut d’hygiène de Berlin, auteur d’une thèse sur la tuberculose (1888). Il obtient un poste de médecin militaire en Indochine en 1890 et y fait toute sa carrière. Médecin et bactériologiste, il est également explorateur et ethnologue (il parcourt les plateaux de l’Annam et la Cochinchine occupés par les Moï) et agronome (il dirige une plantation d’arbre à quinine et d’hévéas). Il découvre le bacille de la peste à Hong-Kong en 1894, élabore les premiers sérums antipesteux et fonde à Nha Trang un institut Pasteur en 1895. Il reste en Indochine jusqu’à sa mort en 1943.
Vietnam le savant oublié
À Nha trang, au Vietnam, il existe des personnes qui vénèrent la personne du médecin suisse qui a localisé le bacille de la peste, Alexandre Yersin. Tous les mois, des vietnamiens se réunissent pour louer la mémoire du médecin devant son autel, dans le temple bouddhiste qui ne sert plus qu'à ça. Le reportage alterne des images de Nha Trang et des différents lieux où a séjourné Alexandre Yersin, avec des BT illustrant sa vie. Le texte off est par moment entrecoupé d'extraits de lettres de Yersin, lues.
Archives : images muettes de populations chinoises touchées par la peste se lamentant.
Bibliographie
Frédérique Audoin-Rouzeau, Les Chemins de la peste : le rat, la puce et l’homme, Tallandier, Paris, 2007.
Jacqueline Brossollet et Henri Mollaret, Alexandre Yersin ou Le vainqueur de la peste, Fayard, Paris, 1985.
Jean Vitaux, Une histoire de la peste, PUF, Paris, 2010.