Écho de presse

1907 : l'affaire de « la femme coupée en morceaux » à Monaco

le 28/05/2018 par Marina Bellot
le 19/03/2018 par Marina Bellot - modifié le 28/05/2018
Illustration parue en une du Petit Journal, le 25 août 1907 - source : RetroNews-BnF

En août 1907, une affaire sordide fait la Une de la presse : un ancien joueur de tennis professionnel et sa femme sont accusés d'avoir assassiné et démembré une riche Suédoise établie à Monte-Carlo.

Août 1907. Un « meurtre monstrueux » fait la une de la presse française. Une veuve, riche et suédoise, a été sauvagement assassinée à Monaco, puis découpée et transportée dans une malle jusqu’à Marseille. Les soupçons se portent immédiatement sur un couple marié : Vere St. Leger Goold, un ancien joueur de tennis professionnel, et Marie-Rose Goold. C'est à Marseille qu'ils sont arrêtés, alors qu'ils comptaient prendre le train pour Calais puis fuir en Angleterre. 

Le 9 août, La Libre Parole se fait l'écho de la fascination de l'opinion pour cette nouvelle affaire de malle sanglante – en 1889, un fait divers de ce type avait déjà défrayé la chronique [voir notre article] :  

« Le mystère le plus profond qui continue à entourer les circonstances dramatiques dans lesquelles se déroula le crime de la villa Menessimy, de Monte-Carlo, passionne de plus en plus l’opinion publique. »

Qui est donc ce « couple diabolique » ? Fils d'un baronnet anglais, Vere St. Leger Goold a connu son heure de gloire en tant que sportif professionnel en accédant à la finale du tournoi de Wimbledon en 1879, avant de sombrer dans l’alcool et la drogue quelques années plus tard. Il rencontre alors, à Londres, une couturière française et veuve, Marie-Rose Violette Girodin, avec laquelle il se marie en 1891. 

Les époux s'installent à Monaco en 1905, où ils fréquentent le casino de Monte-Carlo. C’est là qu’ils repèrent Emma Liven, 48 ans, personnage fantasque et fortuné qui, avec sa perruque blond platine et ses bijoux ostensiblement arborés, ne passe pas inaperçu. Ils l'assassinent chez eux le 4 août 1907 afin de rembourser leurs dettes.

Preuve du retentissement hors norme de l’affaire, dès le 9 août, Le Petit Parisien publie sur deux pages plusieurs papiers alimentés par des envoyés spéciaux et correspondants locaux chargés d’enquêter sur la personnalité et le passé du couple et de la victime, ainsi que sur les circonstances du meurtre.

La question qui passionne la presse est, bien sûr, de savoir qui des deux époux a fait quoi. La République française écrit :

« Mme Goold semble avoir été l’instigatrice de cette horrible affaire.

Tous ceux qui l'ont connue s'accordent à dire qu'elle était douée d’une énergie et d’une volonté peu communes, qu’auprès d’elle M. Goold vivait comme un petit garçon, et que d'ailleurs celui-ci absorbait tant de whisky qu'il paraissait avoir toutes ses facultés atrophiées.

D'aucuns ajoutent même qu'il était en outre morphinomane invétéré. » 

L’affaire est jugée au tribunal supérieur de Monaco au mois de décembre 1907.

La foule des journalistes et des badauds est impressionnante, comme le rapporte Le Petit Journal : 

« Jamais, de mémoire de Monégasque, on ne vit tant de monde autour et dans le Palais de justice ;  jamais, de mémoire d'homme, on ne vit, dans la même journée, deux si longues audiences. »

Toute la presse fait ses choux gras de l’affaire, des journaux populaires à fort tirage à la presse ouvrière. Le journal socialiste L’Humanité, qui y consacre une demie page en une, explique ainsi son intérêt pour ce sordide fait divers :  

« Pour nous, socialistes, qui nous efforçons de rechercher la psychologie sociale dans tous ces procès retentissants, encore une fois, nous pouvons tirer de cette affaire des conclusions utiles.

Malgré la circonspection du président, on voit fort bien que les Goold appartiennent à ce monde spécial et corrompu des joueurs, et c'est au fond le jeu qui apparaît comme le vrai responsable du crime. 

Les Goold sont évidemment allés à Monaco avec l'espoir de refaire fortune. Le jeu les remet toujours plus dans la gêne. Pour pouvoir jouer encore, ils ont tué et volé. »

Si le mobile crapuleux ne fait aucun doute, les responsabilités sont difficiles à démêler : de l’instruction au procès, Marie-Rose Goold nie toute participation au crime ; son mari, lui, livre pas moins de quatre versions du meurtre. Au procès, il se charge seul du crime, affirmant qu’il a involontairement tué sa victime pour la voler. 

Le Petit Parisien rapporte : 

« C'est avec une scie que Goold dépeça le corps de sa victime. Il commença par les jambes, à hauteur des genoux, et continua par la tête. Il ouvrit aussi l'abdomen. Pourquoi ? Parce que la décomposition devait être plus rapide par les intestins.

Goold affirme que sa femme n'a pas assisté à l'opération, mais il revint sur ce qu'il avait dit en déclarant qu'elle l'aida à soutenir le corps après le crime.

Le dépeçage aurait eu lieu dans la salle de bains et la cuisine. L'accusation croit, au contraire, que ce fut dans la baignoire, car on la trouva rougie de sang. Elle estime encore que la femme Goold aida son mari, non seulement à porter le corps dans cette baignoire, mais encore à l'en retirer pour le mettre dans la malle. »

Après trois jours de procès, le couple est reconnu coupable de vol et d’homicide volontaire. Il est alors avéré que la femme Goold a joué le rôle le plus déterminant : le tribunal la condamne à mort. L’ancien sportif échappe, lui, à la peine capitale et est condamné aux travaux forcés à perpétuité. 

En une, Le Matin commente froidement ce verdict équitable et impitoyable, épilogue d’une tragédie : 

« Marie-Rose-Violette Girodin aura la tête tranchée sur une place publique de Monaco. Vere Goold, condamné aux travaux forcés à perpétuité, ira essayer en Guyane la culture de l'orge, mère du whisky. 

Comme il convenait, Vere accueille cette nouvelle avec son flegme invariable. Violette s'évanouit dans les bras de ses gardiens. »

La femme sera en fait graciée et sa peine commuée en condamnation à la réclusion à perpétuité. Elle mourra à la maison centrale de Montpellier en 1914.

Vere Goold mourut moins d’un an après son débarquement au bagne de Guyane, le 8 septembre 1909.