« David Copperfield » de Charles Dickens dans l'Humanité
Le chef-d'œuvre de Charles Dickens est une peinture sombre de la condition enfantine dans l'Angleterre victorienne. Il est publié en feuilleton dans L'Humanité en 1936.
Le romancier anglais Charles Dickens n'a eu de cesse de puiser son inspiration dans son enfance douloureuse. Son œuvre entière est marquée par son expérience de la misère, et notamment David Copperfield, considéré comme son chef-d'œuvre. D'abord publié en feuilleton en Angleterre entre 1849 et 1850, il devient vite un classique de la littérature anglaise dans le monde entier.
Le jeune David, après une petite enfance heureuse auprès de sa mère et de la brave Peggotty, sa gouvernante, voit son monde basculer lorsque sa mère se remarie. Brimé par son cruel beau-père, envoyé en pension puis employé dans un entrepôt londonien, il est confronté à de douloureuses épreuves, aidé par une foule de personnages bienveillants et hauts en couleur croisés sur son chemin.
Charles Dickens propose une peinture sombre de la condition enfantine dans l'Angleterre victorienne, lorsque les enfants gênants sont parqués dans de sordides pensionnats, comme le relève Le Français :
« Tout le récit des souffrances du petit David Copperfield, opprimé par M. Murdstone et sa sœur, consolé par la vieille Peggotty, est d’une beauté saisissante dont l'impression est infiniment profonde.
Les misères des enfants dans les pensions, la longue et odieuse oppression exercée par les “marchands de soupe” anglais sur leurs petites victimes, ont eu dans Charles Dickens leur narrateur ému jusqu’aux larmes, j’allais dire jusqu’au sang. »
Pas étonnant, donc, que cette peinture sociale trouve sa place dans L'Humanité, qui publie David Copperfield en feuilleton en 1936.
Le 30 mai 1936, le lecteur plonge ainsi dans les tourments du jeune narrateur :
« Plus solitaire que Robinson Crusoé, qui n'avait, lui, personne pour le regarder et voir à quel point il était solitaire, j'entrai dans le bureau de la diligence et m'assis sur la balance où l'on pesait les bagages.
Là, assis au milieu de malles et de colis et respirant une odeur d'étable pour toujours associée dans mon souvenir à celui de cette matinée, je commençai à me torturer l'esprit par une foule de considérations saugrenues.
Si, pourtant, personne, ne venait me réclamer ? Que ferais-je ? Me garderait-on à l'auberge ? Assez longtemps pour dépenser sept shillings ? Dormirais-je dans l'un de ces hangars avec les autres bagages, et me laverais-je à la pompe le matin ? Ou bien me mettrait-on dehors chaque soir, afin que je revienne chaque matin à l'ouverture du bureau pour voir si on ne viendrait pas me chercher ?
Et, s'il ne s'agissait pas d'une erreur ? Si M. Murdstone avait préparé tout ce plan pour se débarrasser de moi ? Que ferais-je ? Si l'on me permettait de rester ici jusqu'à ce que mes sept shillings soient dépensés, je ne pouvais espérer y rester dès que je commencerais à jeûner ? Cela serait, de toute évidence, désagréable pour les clients, sans compter les frais qui en résulteraient. Si je partais tout de suite pour essayer de retourner à la maison, comment pourrais-je jamais trouver mon chemin, comment pourrais-je jamais marcher aussi loin ? »
David Copperfield, c'est aussi l'histoire d'un lent et difficile cheminement intime et social, et la découverte de la passion amoureuse à travers le personnage de Dora :
« Dora n'était pas à mes yeux une simple créature humaine, mais bien plutôt une fée, une sylphide, une créature éthérée, jamais contemplée jusqu'alors, mais toujours ardemment désirée.
Cette passion me saisit, m'empoigna, sans défense, comme le précipice engloutit le montagnard. Sans avoir le temps de jeter un coup d'œil en avant, ni en arrière, sans reculer, sans hésiter, je tombai au fond de l'abîme, avant même d'avoir songé à adresser la parole à mon idole. »
De ce roman, Charles Dickens disait qu'il était « son enfant préféré ». Et avouera que c'est bien lui-même qu'il a dépeint au travers du personnage principal :
« Pouvaient-ils se douter pourquoi je savais, moi, que tout cela n'était ni plus ni moins que la vérité ? »