La parution des nouvelles du « Horla » de Maupassant dans la presse
Les treize nouvelles qui composent le recueil Le Horla parurent d’abord dans Gil Blas et dans Le Gaulois. Mais c’est surtout la nouvelle éponyme, passée à la postérité comme un chef-d’œuvre du fantastique, qui retiendra l’attention de la critique et du public.
Paru en mai 1887, le recueil Le Horla regroupe treize nouvelles signées Guy de Maupassant. D’abord parus dans la presse entre 1885 et 1887, notamment dans les quotidiens Gil Blas et Le Gaulois, ces récits naviguant entre le genre fantastique (dans la nouvelle-titre) et le réalisme n’ont a priori pas grand-chose en commun.
On y retrouve pourtant à chaque fois le style cynique et mordant de l’auteur, alors au faîte de la célébrité. Maupassant, qui a 35 ans en 1885, excelle dans le genre de la nouvelle courte, dense, surprenante, à la tonalité volontiers assombrie d’une pointe de pessimisme morbide ou d’humour noir.
Dans Joseph, parue dans Gil Blas le 21 juillet 1885, il retranscrit le dialogue entre deux amies qui discutent des meilleurs moyens de prendre un amant.
« — Quand j’arrive dans un pays nouveau, je prends des notes et je fais mon choix.
— Tu fais ton choix ?
— Oui, parbleu. Je prends des notes d’abord. Je m’informe. Il faut avant tout qu’un homme soit discret, riche et généreux, n’est-ce pas ?
— C’est vrai.
— Et puis, il faut qu’il me plaise comme homme.
— Nécessairement.
— Alors je l’amorce.
— Tu l’amorces ?
— Oui, comme on fait pour prendre du poisson. Tu n’as jamais pêché à la ligne ? »
Dans Sauvée, parue le 22 décembre dans Gil Blas, il met en scène une marquise qui se réjouit de son divorce. Dans Le Signe, publiée le 27 avril 1886 dans le même journal, il persiste dans la même veine grinçante en racontant l’histoire d’une baronne qui entreprend, avec un peu trop de succès, d’imiter une prostituée qu’elle a vue depuis sa fenêtre...
« Je me dis donc : Voyons, je vais essayer sur un, sur un seul, pour voir. Qu’est-ce qui peut m’arriver ? Rien ! Nous échangerons un sourire, et voilà tout, et je ne le reverrai jamais ; et si je le vois il ne me reconnaîtra pas ; et s’il me reconnaît je nierai, parbleu.
Je commence donc à choisir. J’en voulais un qui fût bien, très bien. Tout à coup je vois venir un grand blond, très joli garçon. J’aime les blonds, tu sais. Je le regarde. Il me regarde. Je souris, il sourit ; je fais le geste ; oh ! à peine, à peine ; il répond "oui" de la tête et le voilà qui entre, ma chérie ! Il entre par la grande porte de la maison. »
La nouvelle Au bois, parue le 22 juin 1886 dans Gil Blas, donne à nouveau dans le genre grivois prisé par l’auteur. En revanche, Une famille, qui paraît le 3 août, est plus mélancolique : un homme revoit après quinze ans son ancien meilleur ami, désormais marié et devenu un bourgeois respectable dans une petite ville ennuyeuse.
« Comme je descendais de wagon, un gros, très gros homme, aux joues rouges, au ventre rebondi, s’élança vers moi, les bras ouverts, en criant : "Georges." Je l’embrassai, mais je ne l’avais pas reconnu. Puis je murmurai stupéfait : "Cristi, tu n’as pas maigri." Il répondit en riant : "Que veux-tu ? La bonne vie ! la bonne table ! les bonnes nuits ! Manger et dormir, voilà mon existence !"
Je le contemplai, cherchant dans cette large figure les traits aimés. L’œil seul n’avait point changé ; mais je ne retrouvais plus le regard et je me disais : "S’il est vrai que le regard est le reflet de la pensée, la pensée de cette tête-là n’est plus celle d’autrefois, celle que je connaissais si bien." »
Publiée dans Le Gaulois le 5 août 1886, Le Diable est quant à elle une satire très noire des mœurs paysannes de la Normandie natale de Maupassant.
C’est le 26 octobre que l’écrivain donne à Gil Blas la nouvelle la plus célèbre du recueil : Le Horla, véritable chef-d’œuvre du genre fantastique, mettant en scène la lente descente aux enfers d’un homme persuadé d’être persécuté par une créature invisible. Le tour de force de Maupassant réside dans le fait que le lecteur ignore s’il a affaire à un événement surnaturel ou au délire d’un homme pris de folie...
« Le docteur Marrande, le plus illustre et le plus éminent des aliénistes, avait prié trois de ses confrères et quatre savants, s'occupant de sciences naturelles, de venir passer une heure chez lui, dans la maison de santé qu'il dirigeait, pour leur montrer un de ses malades.
Aussitôt que ses amis furent réunis, il leur dit : "Je vais vous soumettre le cas le plus bizarre et le plus inquiétant que j'aie jamais rencontré. D'ailleurs, je n'ai rien à vous dire de mon client. Il parlera lui-même." Le docteur alors sonna. Un domestique fit entrer un homme. »
La version du Horla parue dans Gil Blas est différente de celle qui paraîtra dans le recueil éponyme : beaucoup plus longue, cette seconde version est rédigée à la manière d’un journal. A noter que celle-ci emprunte aussi beaucoup à une autre nouvelle que Maupassant, sous le pseudonyme de Maufrigneuse, avait fait publier en février 1885 dans Gil Blas, intitulée Lettre d’un fou.
D’autres nouvelles qui finiront dans le même recueil paraissent dans Gil Blas : Le Marquis de Fumerol, critique acerbe des convenances bourgeoises, est publiée le 5 octobre 1886. Le Trou lui succède le 9 novembre, puis Amour le 7 décembre et Clochette le 21 décembre. Cette dernière nouvelle, poignante, met en scène le destin d’une vieille servante dont la vie fut brisée dans sa jeunesse par un malheureux accident.
« Sont-ils étranges, ces anciens souvenirs qui vous hantent sans qu'on puisse se défaire d'eux ! Celui-là est si vieux, si vieux que je ne saurais comprendre comment il est resté si vif et si tenace dans mon esprit.
J’ai vu depuis tant de choses sinistres, émouvantes ou terribles, que je m’étonne de ne pouvoir passer un jour, un seul jour, sans que la figure de la mère Clochette ne se retrace devant mes yeux, telle que je la connus, autrefois, voilà si longtemps, quand j’avais dix ou douze ans. »
A sa parution chez Ollendorf en mai 1887, le recueil Le Horla connaît un grand succès public et critique. C’est surtout la nouvelle-titre qui retient l’attention des commentateurs, impressionnés par le caractère effrayant du récit et surpris par cette incursion inattendue de l’auteur de Bel-Ami dans le genre fantastique. Ainsi Louis de Caters note-t-il dans sa critique de Paris, le 1er juin :
« Je n’ai rien lu, dans le genre fantastique, de plus terrifiant, je dirai même d’aussi terrifiant que cette étude, selon moi encore supérieure à tous les contes d’Hoffmann et de Poe. Après avoir excellé dans le naturalisme, M. de Maupassant s’attaque maintenant au "surnaturalisme" et, pour son coup d’essai, frappe un coup de maître. »
La nouvelle, maintes fois adaptée au théâtre et au cinéma, connaîtra une longue postérité – même si certains lecteurs feront parfois la fine bouche, à l’instar du célèbre écrivain de science-fiction René Barjavel qui écrira en 1952 dans Carrefour, à propos de l’adaptation à la radio de la nouvelle de Maupassant :
« Il suffit de penser à Poe pour voir ce qui manque à Maupassant quand il aborde le genre fantastico-horrifiant : tout simplement le génie. Et dans ce genre, ce qui n’est pas parfaitement réussi est grotesque. »
Après la mort de Maupassant, certains de ses biographes tenteront d’expliquer la nouvelle Le Horla comme une transposition des symptômes que l’écrivain, atteint de la syphilis, aurait éprouvé au moment de la rédaction. La nouvelle se conclut par l’annonce du futur suicide du narrateur : Maupassant lui-même tentera de mettre fin à ses jours en 1892. La maladie finira par l’emporter en 1893.
–
Pour en savoir plus :
Frédéric Martinez, Maupassant, Gallimard, 2012
Marlo Johnston, Guy de Maupassant, Fayard, 2012
Les Essentiels Littérature : Maupassant, sur gallica.bnf.fr