L’évasion du futur Napoléon III, prisonnier du fort de Ham
Le 25 mai 1846, Louis-Napoléon Bonaparte, emprisonné en Picardie depuis six ans, met à exécution un plan ingénieux – son but : détourner l’attention de ses geôliers puis quitter le pays.
Le Napoléon III des années 1830, alors Louis-Napoléon Bonaparte, prince de France et de Hollande, est un jeune homme fougueux et passionné, qui cherche par tous les moyens à reconquérir un pouvoir perdu quelque vingt années auparavant par son oncle, Napoléon Bonaparte.
Par deux fois, il tente d’ameuter des partisans afin de marcher sur Paris et renverser la Monarchie de Juillet du Roi Louis-Philippe Ier. Il essuie une première déconvenue à Strasbourg en 1836, puis tente à nouveau l’expérience le 6 août 1840, à Boulogne-sur-Mer.
Là, il est arrêté avec ses complices, puis emprisonné au fort de Ham, en Picardie.
Six ans plus tard, son évasion rocambolesque fait la Une des journaux. La Presse du 11 juillet 1846 donne un résumé des faits :
« Condamné le 6 octobre 1840, à la suite de l’échauffourée de Boulogne, à l’emprisonnement perpétuel, par arrêt de la chambre des pairs, il allait bientôt y avoir six ans que le prince Louis-Napoléon Bonaparte avait vu se refermer sur lui les portes de la forteresse de Ham, lorsque le 25 mai dernier, vers huit heures du matin, il s’évada sous le déguisement d’un ouvrier et passa en Belgique, puis de là en Angleterre.
Pendant ces six années, le prisonnier a-t-il quelquefois pensé a une évasion ? Cette pensée ne lui est-elle venue, au contraire que ces derniers temps et par suite des mauvaises nouvelles qu'il recevait sur la santé de son père ?
C'est du moins ce que le prince Louis a déclare dans lettres qu'il a écrites après son évasion. »
Comment le prince a-t-il réussi à fausser compagnie à ses geôliers ?
Cette évasion est sans surprise le fruit d’un plan mûrement réfléchi, mais aussi « l’entreprise la plus audacieuse que j’aie jamais tentée », comme l’avoue lui-même le fuyard dans une lettre retranscrite le 1er juin par Le Siècle. « Cette fuite si singulièrement préparée et si cavalièrement exécutée » (La Quotidienne, 1er juin 1846) excite la curiosité et donne lieu sur le moment à de « nombreuses versions contradictoires » (Journal de la ville de Saint-Quentin, 7 juillet 1846).
Voici les faits :
Le jour de l’évasion, le 25 mai 1846, n’est pas choisi au hasard : on fait réparer plusieurs chambres du bâtiment où est détenu Louis-Napoléon. De nombreux ouvriers circulent donc dans la forteresse.
À 7h du matin, le prince se prépare à « jouer au naturel son nouveau rôle » (Le Constitutionnel, 11 juillet 1846). Il revêt les accessoires subtilisés par son fidèle valet de chambre : une blouse et des sabots. Les diverses sources soulignent qu’avant de quitter sa chambre, « il avait pris la précaution de raser ses moustaches et ses favoris, ce qui l’a rendu complètement méconnaissable ».
La Quotidienne poursuit :
« Le prince prit une des planches qui portaient les livres de sa bibliothèque, la mit sur l’épaule droite, et descendit de ses appartements ; dans l’escalier il trouva des pots à couleurs et des brosses, il en prit plusieurs de la main gauche, et assura du même côté sous le bras le gros morceau de pain qu’il portait, comme pour le déjeuner d’un ouvrier ; son domestique le suivait portant sur le bras un manteau et des paquets imperceptibles, et tenant en laisse le chien fidèle du prince, appelé Ham, duquel il ne voulait point se séparer.
Ils franchissent le seuil ; les voilà en face du factionnaire et des gardiens ; le prince redouble d’allures et de façons d’ouvrier ; nul ne songe à lui fermer le passage.
À quelques pas de là, […] le prince et Charles sont rencontrés par deux maçons retardataires, qui ont sans doute festoyé un peu tard le dimanche ; ils vont reconnaître que le fugitif n’est pas un des leurs ; mais Charles va droit à eux et les gronde sur leur paresse ; il leur dit d’aller rejoindre leurs camarades qu’on régale à la salle à manger ; leur attention est distraite, et le prince s’est avancé vers la loge du consigne. »
Puis, le prince se retrouve face à face avec un gardien : il camoufle son visage de sa planche et poursuit son chemin comme si de rien n’était.
Il passe la porte de la prison à la barbe de deux geôliers en faction, traverse la cour intérieure, longe les fenêtres du commandant puis parvient devant le portier-consigne.
Le Constitutionnel raconte les derniers instants du prince dans la forteresse :
« Tandis que son camarade, chargé d’un sac de plâtre, s’adressait pour sortir au portier-consigne, le prince se masquait avec sa planche […] aussi aucun soupçon ne vint au brave concierge, et la porte fut bientôt ouverte. »
Le médecin personnel du prince, complice de l’évasion, retarde le plus possible la découverte de la supercherie par le commandant du fort en imaginant un scénario digne d’un vaudeville. Le Journal des villes et des campagnes en donne le récit comique :
« Vers midi, raconte une feuille ministérielle, le commandant se serait présenté dans les appartements du prisonnier, et aurait témoigné le désir de le voir ; mais le médecin particulier du prince, compagnon de sa captivité, aurait répondu que le prince, ayant passé une fort mauvaise nuit, se trouvait assez sérieusement indisposé, et qu’il ne serait pas sans inconvénient pour sa santé de le déranger en ce moment.
Le commandant se retira ; il revint vers deux heures demander de nouveau à voir le prisonnier. Il fut encore reçu par le médecin, qui, après être entré dans la chambre à coucher du prince, comme pour prendre ses ordres, revint prier le commandant de l’excuser s’il se trouvait encore dans l’impossibilité de le recevoir. Le malade était moins souffrant, mais il ne se sentait pas en état de supporter la plus courte conversation.
Le commandant se montra, dit-on, fort peu satisfait de ce qu’il regardait comme un manque de procédés, et annonça qu’il se présenterait un peu plus tard, avec l’espoir de n’être pas éconduit plus longtemps. Il était cinq heures du soir lorsqu’il parut.
Le médecin se serait alors borné à lui ouvrir la porte de l’appartement, en lui disant : “Maintenant vous pouvez entrer, le prince est sorti”. »
Tandis que le commandant Demarle réalise qu’il est « l’infortunée dupe des ruses du prince fugitif », Louis-Napoléon est déjà loin. La Gazette de France du 30 mai confirme la nouvelle :
« Un cabriolet l’attendait en dehors de la ville ; il y est monté avec son valet de chambre : celui-ci, très connu des habitants de Ham, avait fait le tour de la ville pour le rejoindre.
Le prince s’est rendu directement à Saint-Quentin, où il a pris la poste, et est parti aussitôt pour Valenciennes. »
Le soir même de son évasion, il est à Bruxelles, d’où il rejoint la mer du Nord afin d’embarquer pour l’Angleterre. Quelques jours plus tard « il assistait, à Londres, à la représentation du théâtre français, où sa présence a excité une attention très vive ».
Le prince nargue le gouvernement français avec un plaisir non dissimulé, fier d’avoir mis fin à une détention qui aura duré « cinq ans, neuf mois et vingt jours ».
Élu au suffrage universel masculin président de la République deux ans plus tard à la suite de la Révolution de février 1848, il réalisera finalement le plan de toute sa vie en devenant empereur des Français le 2 décembre 1852.