Ces représentations correspondent à une logique objective. Le Phare de la Loire concentre son propos sur les principaux protagonistes mais également sur les critères de l'écriture des faits-divers : la figure féminine criminelle et mystérieuse ainsi que l'acteur interlope sont pour le lecteur dignes d'attention. Le trafiquant est ainsi comparé par Le Phare de la Loire à « ‘Justin de Marseille’, le trafiquant de l'écran » du film de Maurice Tourneur de 1935, qui met en scène les péripéties de la contrebande dans la ville.
Les autres acteurs sont justes évoqués, ainsi que leur lien avec l'opium comme « […] les moins coupables, ceux qui ont ‘tiré sur le bambou’ par snobisme d'abord, mais ensuite, hélas ! Par maladie. Disons le mot : par intoxications. »
Le récit du procès est à nouveau l'occasion d'intégrer Nantes dans l'univers des villes de l'opium, en précisant qu'il s'agit ici d'un produit « de deuxième zone » venu par Marseille « de Smyrne ou d'Istanbul et non de la Chine ou de l'Inde ». L'évocation de ces origines est une fois encore l'occasion de provoquer un effet de connivence avec son lecteur, supposé connaître la hiérarchie des ports de l'opium.
Le jugement rendu le 22 avril est publié le 23 : « Les fumeurs d'opium sont condamnés à des peines de prison et d'amendes » « trois d'entre eux deviennent interdits de séjour ». Le quotidien suivra « la fameuse affaire des stupéfiants » jusqu'aux 29 et 30 octobre, avec le jugement en appel et une « cour [qui] s'est montré bienveillante ». Dès le premier verdict les juges « ont écarté avec circonspection l'idée d'une ‘fumerie clandestine’ ». La rubrique précise :
« A Nantes, on sait qu'il n'existait pas à proprement parler de fumerie dont le matériel et l'installation étaient mis d'une façon permanente à la disposition des fumeurs, soit contre rétribution, soit gratuitement. »
Loin de la représentation d'une ville envahie par les fumeries d'opium, l'affaire retombera peu à peu.
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Pour en savoir plus :
CORBIN Alain, « Paris-Province », in : P. Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t. 3, Les France, vol. 1 : Conflits et partage, Gallimard, 1992
DE TAILLAC Pierre, Les Paradis Artificiels. L’imaginaire des drogues de l’opium à l’ecstasy, Hugo Doc, 2007
KALIFA Dominique, L’Encre et le Sang. Récits de crimes et société à la Belle Époque, Fayard, 1995
KALIFA Dominique, Les Bas-Fonds. Histoire d'un imaginaire, Seuil, 2013
RETAILLAUD-BAJAC Emmanuelle, Les paradis perdus. Drogues et usagers de drogues dans la France de l’Entre-deux-guerres, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009
YVOREL Jean-Jacques, Les poisons de l’esprit. Drogues et drogués au XIXe siècle, Quai Voltaire, 1992
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Damien Cailloux est historien, spécialiste des représentations et de l’imaginaire des ports aux XIXe et XXe siècles. Il enseigne dans le secondaire et à l’Université catholique de l’Ouest, à Angers.