Écho de presse

1834 : Lamartine pour la colonisation de l'Algérie

le 23/02/2024 par Pierre Ancery
le 13/04/2018 par Pierre Ancery - modifié le 23/02/2024
Danseuses mauresques à Alger, voyage de Napoléon III, 1865 - source : Gallica-BnF

En 1834, alors que partisans et adversaires de la colonisation s'affrontent à la Chambre, Lamartine se prononce en faveur de la présence française en Algérie, au nom de la « civilisation ».

Poète fameux, Alphonse de Lamartine (1790-1869) fut aussi un homme politique engagé. C'est lui qui, le 24 février 1848, proclama la Seconde République devant l'Hôtel de ville de Paris. Lui encore qui prononça à la Chambre, en 1838, un vibrant plaidoyer en faveur de l'abolition de la peine de mort.

 

Mais l'auteur des Méditations poétiques fut aussi, au tout début de la colonisation de l'Algérie, un fervent soutien du maintien de la présence française dans les territoires conquis.

 

Nous sommes en 1834. La France a conquis l'Algérie mais elle ne sait qu'en faire. L'aventure lancée en 1830 par Charles X mobilise de nombreux soldats, coûte cher et n'est guère rentable. Colonistes et anticolonistes s'opposent à la Chambre : parmi les premiers, Lamartine, député de Bergues depuis 1833, de tendance royaliste, est choisi le 2 mai pour plaider leur cause devant les députés.

 

Son discours sera très remarqué. La Gazette nationale le retranscrira le lendemain :

 

« Messieurs,

 

Un pays comme la France ne peut pas hésiter quatre ans devant sa propre résolution, sans déconsidération pour lui et sans dommage pour son avenir. Il fallait, il faut encore forcer la France à parler en posant plus nettement la question ; il faut lui dire : voulez-vous conserver Alger au prix de trente millions et de trente mille hommes par année ?

 

Voulez-vous conserver Alger avec un moindre développement et à des conditions onéreuses ? Enfin vous n'en voulez-vous pas du tout ?

 

Si vous n’en voulez pas du tout, retirez les troupes et fermez le trésor ; si ainsi que je l'espère vous voulez conserver Alger au moins comme colonie expérimentale et comme occupation militaire, déterminez dès aujourd'hui la forme, la mesure, les conditions de cette colonie, et rendez douze ou quinze millions aux contribuables. »

Alphonse de Lamartine, poète et député, dessin daté autour de 1840 - source : Gallica-BnF

Après avoir rappelé les débouchés qu'offrent ces nouveaux territoires, Lamartine développe son principal argument, celui d'une mission civilisatrice de la France en Algérie, qu'il oppose à la « barbarie » des musulmans.

 

« Dans ma conviction, de grandes colonisations entrent indispensablement dans le système politique que l’époque assigne à la France et à l’Europe. L’Orient les rappelle, et le défaut de débouchés intérieurs les rend nécessaires à nos populations croissantes [...].

 

Les orateurs qui ont parlé contre ce système, n'ont envisagé les colonisations que sous le rapport commercial et agricole ; ils ont négligé le côté politique de la question [...].

 

Remettre les rivages et les villes de l’Afrique à des princes arabes, ce serait confier la civilisation à la barbarie, la mer à la garde de ses pirates, nos colons à la protection et à l'humanité de leurs bourreaux. »

 

Se plaçant sur le plan de la morale, il reprend ainsi un des objectifs qui avaient officiellement motivé, en 1830, le début de la conquête de l'Algérie par Charles X : la nécessité de mettre fin à la piraterie qui sévissait dans la région.

Même si la raison réelle, pour l'ex-souverain, était de restaurer le prestige de la royauté, fortement ébranlée sur le plan intérieur, et de prendre les devants sur l'Angleterre en Afrique du Nord.

 

« Maintenant, comme colonie militaire, comme essai de colonie commerciale, devons-nous rester à Alger ? Les conclusions, au moins tacites, des orateurs que nous avons entendus, me font craindre qu’ils n’aient fait germer cette pensée dans l’esprit de la chambre et du pays. Pensée funeste, Messieurs, pensée anti-nationale, anti-sociale, anti-humaine que nous devons repousser, comme nous repousserions la pensée d’une honte ou d’un crime.

 

Eh quoi ! [...] Abandonnerions-nous ces mers à leurs pirates ? Les côtes de France, d’Italie et d’Espagne à leurs insultes ? Repousserions-nous les bénédictions de ces rivages que nous avons affranchis de leur terreur ? Laisserons-nous repeupler d’esclaves français et européens ces nids d’esclavage que nous avons détruits pour jamais ? [...]

 

Non, Messieurs, ce serait renier notre mission et notre gloire ; ce serait trahir la Providence qui nous a fait ses instruments dans la conquête la plus juste, peut-être qu’une nation ait jamais accomplie ; ce serait mépriser le sang de ces braves que nous avons sacrifié dans cet assaut donné à la barbarie. »

 

Il conclut :

 

« Je demande que nous ne laissions planer aucune incertitude sur la conservation d'Alger comme colonie militaire, et que nous n'ajournions pas à la session prochaine la discussion de la forme dans laquelle cette colonie sera constituée ; et je vote pour les 400 000 f., car j'aime encore mieux que nous perdions de l'argent que de l'honneur et de l'avenir. »

 

Le 22 juillet 1834, les colonistes l'emporteront : une ordonnance royale fait officiellement de l'Algérie une colonie française.

 

Lamartine, quant à lui, restera député jusqu'en 1851 et évoluera peu à peu vers le républicanisme.

Notre sélection de livres

Lamartine
B. M. L. A. Chapuys-Montlaville
Méditations poétiques
Alphonse de Lamartine
Alphonse de Lamartine
Alphonse de Lamartine
Histoire poétique et politique de M. de Lamartine
Louis Lurine