La mode à la plage : de l'émancipation à la libération
Dans les années 1920, le corps de la femme se libère. Sur la plage, le costume de bain se fait de plus en plus léger et moulant. Une évolution qui ne se fait évidemment pas sans heurt.
Les années 1920 consacrent une petite révolution. Après l’horreur de la guerre, les privations et les restrictions, les Français veulent s’amuser. Et les Françaises ne sont pas en reste. Elles qui s’étaient retrouvées en première ligne, assumant la place prise par les hommes partis au combat, affirment désormais leur envie de vivre et de se faire plaisir.
Cette émancipation va de pair avec une libération du corps. Jusqu'alors, le maillot de bain n'avait rien de seyant et l'expérience de la plage, rien d’agréable. À mesure que le tourisme balnéaire se développe, la tenue des femmes à la plage se rétrécit peu à peu, à l’image du costume de ville qui s’allège et se simplifie.
Les premiers maillots sont en laine tricotée, qui reste longtemps la plus appréciée pour sa souplesse. Attention toutefois : bienséance oblige, ils ne doivent pas être trop courts et sont tenus d'arriver à quelque 5 cm des genoux.
« Pendant longtemps les costumes de bain furent laids et inconfortables. Maintenant la femme les veut élégants et pratiques » résume en 1923 L'Écho d'Alger.
Pour les nageuses, le costume de bain se fait court et plus moulant pour s'adapter aux nouvelles pratiques balnéaires. Il est la plupart du temps constitué d'un ensemble « sweater-culotte » accompagné d'une ceinture.
Le très sérieux quotidien Le Siècle se fait l'écho de cette nouvelle tendance en 1926 :
« Les véritables nageuses ne veulent pas entendre parler d'autre chose que du classique maillot noir, simplement garni d'un chiffre brodé en couleur.
Celles qui n'ont jamais désiré traverser la Manche à la nage, préféreront des costumes plus fantaisie, de couleurs plus vives de forme plus compliquée.
Madeleine Vionnet a créé deux bien jolis costumes de bain en alliant le bleu marine au jersey blanc. Méfiez-vous cependant des complications et des garnitures qui font sourire. En restant simple, vous êtes sûre de vous. »
À partir de 1925, la célèbre couturière Coco Chanel, en faisant émerger le look garçonne, ouvre la voie aux décolletés affriolants et aux jambes exposées. Même les bras et les épaules se dénudent pour faciliter le bronzage.
Ces excentricités ne vont pas sans choquer les bonnes mœurs. Sur certaines plages, de véritables chasses aux audacieuses s’organisent, comme le montre cette couverture du Petit Journal illustré en 1927.
Qu’importe : la mode ne cesse d’évoluer vers toujours plus de liberté.
Le journal L’Ouest-Éclair se fait le relais de cette spectaculaire évolution en 1929 :
« Les premières femmes qui se baignèrent en maillot, il y a quelques années, causèrent du scandale, et cependant quels maillots ! Longs, larges à souhait, peu décolletés, enfin, de vrais maillots encore décents ; peu à peu, ceux-ci se sont amplement échancrés, puis raccourcis.
Enfin, à l’heure actuelle, au moins sur certaines plages, ils sont réduits à leur plus simple expression, laissant pour la femme le dos entièrement nu, pour l’homme tout le torse.De plus, durant la cure de soleil, les femmes laissent tomber les épaulettes et maintiennent à deux mains le maillot, qui ne cèle plus rien de ce qu’il devrait celer. »
Avec les premiers congés payés en 1936 qui permettent aux Français de classe moyenne de partir en vacances, le maillot de bain gagne en popularité et se raccourcit encore davantage.
D'après la nouvelle tendance, les femmes doivent être bronzées – et ne pas avoir peur de l'assumer.
C’est le début d’une double injonction faite aux femmes : soyez belles, soyez minces [lire notre article sur la course à la minceur]... tout en restant « convenables ».
Le magazine illustré communiste Regards n'est pas en reste, relayant en 1939 cette injonction :
« Rien n'est plus difficile que de savoir choisir un maillot de bain. En regardant les vitrines des magasins de sport, nous sommes souvent tentées par un maillot qui semble seyant et, quand nous l'achetons, il nous arrive d'être déçues. Pourquoi ? C'est que mille détails de notre conformation nécessitent un modèle bien étudié.
En général, le maillot foncé, classique est celui qui nous avantage le plus. En jersey marine, à côtes bien serrées, il ne doit pas être trop court.
Si nous avons un joli dos, nous pouvons le montrer ; si nous n'avons pas cette chance, il vaut mieux le cacher. Les femmes fortes feront bien d'éviter les coloris clairs. »
Il faudra attendre 1940 pour voir des icônes du cinéma, parmi lesquelles Ava Gardner ou Rita Hayworth, s'afficher en maillot de bain deux pièces. On est toutefois encore loin du bikini : le nombril reste caché par la culotte très haute.
C'est en 1946 que le couturier Louis Réard présentera le premier bikini à la piscine Molitor de Paris. Sans surprise, le modèle au tissu réduit fera immédiatement débat – au point d'être interdit sur les plages italiennes, espagnoles et anglaises... Il faudra patienter une vingtaine d'années avant que ce maillot de bain court et seyant soit totalement démocratisé.