Élise Deroche, première aviatrice brevetée au monde
En 1910, Élise Deroche devient la première femme, en France et dans le monde, à obtenir un brevet de pilote. Elle multipliera les exploits avant de mourir en vol en 1919, à 36 ans.
Élise Deroche a 25 ans quand elle devient une pionnière de l'aviation mondiale. La jeune femme obtient cette année-là son brevet de pilote, le numéro 36 du prestigieux Aéro-Club de France.
Rien ne prédestinait pourtant à cet exploit celle qui avait débuté au théâtre sous le pseudonyme de « baronne Raymonde de Laroche » — pseudo qui lui restera en tant qu'aviatrice. C'est une rencontre qui fait basculer sa vie : celle avec Charles Voisin, fondateur des Appareils d’Aviation Les Frères Voisin, qui l'initie au pilotage.
En 1910, à peine son brevet obtenu, la baronne de Laroche participe à de nombreux rassemblements aériens, en France et dans le monde — Nice, Héliopolis, Budapest, Saint-Pétersbourg...
En juin, c'est à Rouen qu'elle manque de périr. La Presse relate l'incident :
« Quand on aperçut la coquette baronne, à plus de vingt mètres du sol, chavirer presque complètement sous une rafale, puis avec un sang-froid admirable redresser son biplan, et traiter cette machine capricieuse comme l'eût fait une écuyère de haute école avec un cheval difficile, afin d'amortir l'atterrissage, une rumeur d'effroi puis d'admiration secoua la foule entière. On était tellement angoissé que personne ne songea au danger que chacun pouvait courir pour soi-même, l'aviatrice passant en ce moment juste au-dessus de l'enceinte où s'entassait le public... »
Et le journaliste de rapporter les facéties de cette pilote hors du commun, jouant de sa position de femme dans un monde d'hommes :
« Dans son hangar, tandis qu'on rentre son appareil dont une aile déchiquetée pend lamentablement, Mme de Laroche, toute souriante et pas le moins du monde émue, s'empresse déjà à recouvrir ses joues, toutes roses de son envolée, du léger nuage de poudre de riz. — Comme cela, nous dit-elle gaminement, j'aurai une mine beaucoup plus de circonstance. Un aviateur qui vient de faire une chute, pour être intéressant, doit avoir l'air légèrement pâle et défait... À plus forte raison, une aviatrice ! »
Dès lors, la presse ne cessera de suivre les péripéties de la jeune aviatrice.
Pas moins d'un mois plus tard, le 8 juillet 1910, elle est grièvement blessée pendant un meeting à Reims. « Les fractures sont pansées et les membres pourvus d'appareils de contention (fractures de la jambe droite, du bras gauche, fracture avec plaie de la jambe gauche, etc.). La luxation de la hanche droite a été réduite sous le chloroforme », lit-on dans Le Petit Journal, qui revient sur les débuts de la baronne de Laroche :
« Elle a appartenu au théâtre ; elle a joué dans la troupe de Mme Sarah Bernhardt. Elle est la première femme qui se soit risquée à conduire, seule, un aéroplane. Cette tentative audacieuse fit un certain bruit et le Petit Journal enregistra la première sortie de Mme de Laroche. Plusieurs femmes avaient déjà volé dans les airs, Mme Peltier, aux côtés de Delagrange ; Mme de Lambert, Mlle Wright et quelques autres encore ; mais Mme de Laroche fut la première qui consacra, d'une façon réelle, le mot aviatrice. »
En 1913, elle remporte la coupe Femina, qui consacre l'aviatrice parcourant la plus longue distance au cours de l'année civile.
Lorsque la guerre éclate, elle se voit refuser l'autorisation de prendre place dans une escadrille de combat. Qu'à cela ne tienne, dès la fin des hostilités, elle bat le record féminin d'altitude en s'élevant à 3 900 mètres, en juillet 1919. Sa performance est bientôt surclassée par l'Américaine Ruth Law, qui atteint, elle, 4 720 mètres — avant d'être à son tour surclassée par la baronne, qui reprend son titre en atteignant les 4 800 mètres.
Elle n'aura guère le temps de savourer son succès : l'aviatrice française se tue le 18 juillet 1919 lors d'un vol d'entraînement au-dessus du Crotoy, dans le Nord, sur un prototype piloté par l'aviateur Barrault.
Sa mort est sommairement annoncée par la presse française. Le journal Le Siècle s'en indigne et raille, déjà, l'inconséquence des journalistes « esclaves de l'opinion publique » :
« Cette fois-ci, hélas, la baronne de Laroche est bien morte et c'est à peine si quelques lignes hâtives lui ont été consacrées. On n'enterre pas les gens deux fois, n'est-il pas vrai ? Et on leur pardonne difficilement de n'être pas décédés à l'heure dite et d'avoir épuisé les répertoires de fleurs de rhétorique mortuaires que les journalistes sont obligés de jeter sur le cercueil des gens célèbres. [...]
Pauvre baronne de Laroche ! Après tant d'éloges n'était-elle pas en droit de croire que la postérité s'occuperait d'elle ? Elle crut connaître de son vivant l'opinion que ses contemporains auraient d'elle après sa mort. Hélas ! les faits se transforment dans la nuit des temps et les journalistes sont esclaves de l'opinion publique. Grand événement en 1910 !... Petite broutille de l'actualité en 1919 !... »
Ce n'est que bien plus tard qu'elle reçut des honneurs posthumes — plusieurs voies publiques portent aujourd'hui son nom à travers le monde.