1822 : Champollion déchiffre la pierre de Rosette
La traduction par le scientifique français d’un texte gravé sur une pierre noire retrouvée dans le delta du Nil provoque une avancée majeure dans la compréhension des différents systèmes d’écriture de l’Égypte antique.
Le 14 septembre 1822, au terme de quatre années de travail acharné, Jean-François Champollion repose sa plume sur son bureau et s’exclame « Je tiens l’affaire ! ». Avant de tomber en syncope devant son frère Jacques-Joseph.
Depuis 1818, date à laquelle il s’est procuré une copie de la pierre de Rosette exposée au British Museum de Londres, le jeune savant n’a cessé de tenter de déchiffrer le mystère qu’elle pose aux égyptologues.
Le chercheur français n’est pas le seul à se pencher sur les inscriptions gravées sur cette stèle de granit noir découverte en 1799 à el-Rashid (Rosette) en Égypte. Thomas Young, secrétaire de la Royal Society de Londres, a réussi à avancer dans les déchiffrement des textes, mais Champollion est guidé par une meilleure intuition.
« M. Young, en Angleterre, et M. Charnpollion, en France, eurent en même temps le premier soupçon de la nature non-alphabétique des caractères cursifs de Rosette ;
mais le savant Anglais perdit du temps à suivre la conjecture qui lui faisoit [sic] voir, dans ces caractères des signes semblables à nos rébus, ce qui n'est vrai qu'à l'égard de quelques uns ;
c'étoit au savant Français que le sort réservoit la gloire d'arriver le premier à une interprétation régulière et complète. »
De quoi s’agit-il ? Sur la pierre de Rosette est gravé un décret énonçant les décisions prises le 27 mars 196 av J.-C. pour honorer Ptolémée V.
Ce texte est écrit en deux langues et trois écritures : grec ancien, égyptien hiéroglyphique et égyptien démotique (c’est-à-dire, la langue administrative rédigée dans une écriture cursive). Jusqu’à présent, les hiéroglyphes et l’écriture démotique restaient un mystère. Jean-François Champollion, comme Thomas Young, commence par déchiffrer les noms de souverains inscrits dans des cartouches.
« M. Champollion le jeune est parvenu à cette découverte en reconnoissant [sic] que les manuscrits, qu'on disoit alphabétiques, avoient de nombreux rapports matériels avec le grand papyrus en hiéroglyphes, publié dans la Description de l'Egypte ;
il confronta les uns avec les autres, et vit enfin que ces mêmes manuscrits étoient la transcription, signe par signe, de ces mêmes manuscrits hiéroglyphiques, qu'ils étoient ornés des mêmes peintures, et que, différant seulement par la forme des signes, ils contenoient les même textes et les mêmes idées.
Il a vérifié cette comparaison sur 278 colonnes du manuscrit hiéroglyphique, et nous pouvons annoncer que de nouvelles comparaisons confirment de plus en plus les bases de son système, quoique ; grâce à l’utile émulation des savants, quelques détails ne peuvent manquer d’être rectifiés ou complétés. »
Mais là où le savant anglais pensait en « rébus » en combinant différentes représentations hiéroglyphiques, Champollion entrevoit un véritable alphabet. Car si les choses peuvent se signifier par un dessin, comment faire pour les noms propres ?
Les hiéroglyphes doivent donc avoir une valeur en sons, ce que Champollion appelle l’« alphabet phonétique ».
« Les Égyptiens se virent donc forcés d'attribuer à quelques uns de leurs signes hiéroglyphiques, hiératiques et démotiques une valeur en sons. De là résulta une sorte d'alphabet syllabique, qui a quelque rapport avec l'écriture chinoise.
M. Champollion appelle ces signes l'alphabet phonétique, et il en a publié un échantillon de plus de cent signes différens [sic] ; mais tous les jours on en découvre de nouveaux sur les monumens. […]
Ces signes se ressentent eux-mêmes de leur origine hiéroglyphique ; par exemple, pour désigner la lettre L, on dessinoit une petite figure de lion, parce que cet animal se nommoit en égyptien lewo. Une corbeille, ber, rappeloit la première syllabe de Bérénice. »
Après l’écriture hiéroglyphique (celle des dieux), l’écriture hiératique (celle des prêtres), Jean-François Champollion révèle également la moins connue des écritures égyptiennes antiques, l’écriture dite démotique. Simplifiée par rapport aux deux précédentes, elle était utilisée pour les actes administratifs à destination du peuple.
« L’écriture démotique, populaire, vulgaire ou épistolographique, étoit [sic] encore moins connue, s'il étoit possible, que les deux premières. […]
Cette écriture populaire conservoit donc en grande partie ce qu’il y avoit d’incommode, de borné, d'embarrassant pour la pensée dans le système d'hiéroglyphes dont elle n'offroit pas l'imposante régularité ;
l'un étoit un instrument de science et de domination, inventé par un seul homme, ou du moins par un seul collège des prêtres, et à une époque très reculée ; l'autre étoit un instrument concédé par les prêtres aux besoins d'une civilisation plus générale, probablement sous les Ptolémées, et peut-être modifié à plusieurs reprises. »
Il est alors possible d’établir un tableau de correspondance entre les caractères hiéroglyphes phonétique et leur équivalent en démotique.
Le Moniteur universel résume ce qu’il ressort des découvertes de l’égyptologue français.
« 1°. Que l’alphabet hiéroglyphique de M. Champollion le jeune, considérablement accru par la comparaison des monumens (sic), s'applique avec le même succès, à la lecture des légendes royales de toutes les époques de l’histoire égyptienne, à celles des Pharaons, comme à celles des Grecs et des Romains ;
2°. Que les Égyptiens l’employèrent, dans tous les tems, à écrire alphabétiquement les sons des mots de leur langue parlée ;
3°. Que toute inscription hiéroglyphique est composée, aux deux tiers au moins, de signes alphabétiques, et que ceux de cet alphabet y conservent la valeur de son qui leur est déjà reconnue ;
4°. Qu’ainsi cet alphabet des hiéroglyphes phonétiques est la véritable clef de tout le système hiéroglyphique. »
En déchiffrant la pierre de Rosette, Jean-François Champollion fait faire un bond à la connaissance de l’Égypte antique, ouvrant la voie à ce que l’on nommera l’égyptologie scientifique.
Nommé conservateur chargé des collections égyptiennes du Louvre en 1826, puis professeur au Collège de France en 1831, il ne cessera d’étudier la civilisation égyptienne antique jusqu’à sa mort précoce en 1832.